C'est l'été 1906.

Le lieu est Skibotn, en Norvège, sur l'océan Arctique, à l'horizon, vers le nord-ouest, des montagnes. Au premier plan, des tas de bois, un bateau de pêche, un troupeau de moutons. À gauche, un camp de Lapons et encore de la forêt.

Je suis à Stockolm soixante-sept ans plus tard, en juillet, pensant à d'autres choses aussi.

Ceci est la description de cela.



C'est l'été 1906.

Un homme et une femme dont j'ignore le nom ont construit une maison avec des bouteilles dans la ville de Rhyolite, à Death Valley. En 1973, pendant l'hiver, j'utilise une photo qu'ils avaient prise — j'utilise un dessin que j'avais fait avec une partie de la photo comme publicité pour une pièce de théâtre à New York. La maison en bouteilles existe toujours, attraction pour les touristes. Les gens qui l'avaient construite sont partis.

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Skibotn, été 1973.

Vers le nord-ouest. Mer calme, froide. Montagnes rocheuses coupées du rivage par des nuages. Camp de touristes. Bateaux de pêche. Piles de bois. Tas d'os. Troupeau de moutons. Maison de bois. Deux magasins. Des enfants. Des Lapons l'été. Tentes coniques. Moustiques. Aucun signe indiquant les raisons de la présence de Skibotn ici. — Je suis là, marchant le long du rivage.

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C'est l'été 1973.

Je suis à Stockolm, Suède, dans un appartement, je pense au Grand Nord : piles de bois. étendues de bois. Bois flottant sur le courant des fleuves. Maisons en rondins et bûches brûlant dans des poêles faits de futs de mazout. Arbres qui masquent le soleil et donnent forme à l'ombre. Arbres qui se courbent et se déchirent. Haches qui s'abattent. Qui s'abattent. Poids des haches balancées derrière la tête, mais ralenties derrière la tête. Haches portées comme des fusils. Sentiers mouillés dans de sombres forêts. — Je suis des gens qui savent des choses qu'ils ne me diront pas.

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C'est l'été 1906.

Le lieu est Death Valley. Rangées après rangées, j'ajoute des bouteilles, rangées sur rangées de bouteilles de champagne cul en l'air, récupérées sur chaque fête, sur chaque beuverie, sur 30 miles et 30 années, je les ajoute à cette maison, à ce monument pour touriste. — À la sueur de mon front.

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C'est l'été 1973. Je suis dans un car.

L'enfant se transforma en lézard. Il descendit et relâcha sa mère, son père et son frère, et prononça les paroles magiques sur sa grand-mère. Elle baissa les yeux et tomba dans le sac. Ils coupèrent du bois, allumèrent un grand feu et y jetèrent le sac avec la grand-mère dedans. Quand tout fut consumé, l'enfant ramassa la mâchoire. Il dit à ses parents : "Partons. Mais je ne viens pas avec vous. Je pars faire du commerce." Il dit à ses parents de partir et ils se séparèrent.

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C'est l'été 1973.

Je suis à Stockolm en train de préparer une exposition pour l'automne. De parler de bois empilé dans un musée de Philadelphie pour marquer des espaces qui n'y existe que partiellement.

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C'est l'été 1973.

Je suis sur un ferry-boat naviguant sur les lacs finlandais. Eau immense, chenaux étroits, îles parsemées, forêt de sapins, paysages ouverts. Nous allons de lac en lac, d'épicéa en bouleau, passant près des flottages de grumes minces à peine remorqués contre le courant. Les paysages changent. Le temps change. Mais l'espace ne tient jamais en place, ne prend jamais forme, ne s'ajuste jamais contrairement au Nord, là où commencent les montagnes.

Richard Nonas, Get Out, Stay Away, Come Back, À propos de la sculpture et de la sculpture en œuvre, trad. Mathilde Bellaigue, Dijon, Les Presses du Réel ; Chalon-sur-Saône, La vie des formes, 1995, p. 20-24.