La tâche du détective consistait à reconstruire l'histoire à partir de signes, d'indices infimes, de minuscules fossiles. Ces traces étaient à la fois des voies à suivre et des vestiges, des pistes à remonter jusqu'à un tangible événement passé — en l'occurrence un meurtre — et de menus débris, souvenirs de cet événement. Comme les chercheurs en histoire naturelle et les archéologues de ce milieu du dix-neuvième siècle, Whicher s'efforçait de reconstituer un scénario qui recollât ensemble les fragments qu'il avait trouvés. La chemise de nuit était son chaînon manquant, un objet imaginé étayant la pertinence de ses autres découvertes, l'équivalent du squelette qui faisait défaut à Darwin pour prouver que l'homme descendait bien du singe.
Dickens compare les détectives aux astronomes Leverrier et Adams, qui, en 1846, ont découvert Neptune, simultanément et séparément, en observant des déviations dans l'Orbite d'Uranus. Selon lui, ces savants ont révélé une nouvelle planète tout aussi mystérieusement que les détectives ont mis au jour une nouvelle forme de crime. Dans son ouvrage sur Road Hill, Stapleton opère le même rapprochement : "Il fallait un instinct de détective, avivé par le génie, pour localiser infailliblement l'emplacement de cette planète manquante que nul œil ne pouvait voir et dont la position ne se pouvait déterminer que par les calculs de l'astronomie." Leverrier et Adams recueillirent leurs indices par l'observation, mais ils firent leur découverte par déduction, en conjecturant l'existence d'un astre à partir de son influence sur un autre corps céleste. Il s'agissait à la fois d'un travail de logique et d'imagination, comme la théorie de l'évolution de Darwin et celle de Whicher sur la chemise de nuit de Constance.
Kate Summerscale, L'affaire de Road Hill House, trad. Éric Chedaille, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2008, p. 216-217.