— Sais-tu mon sentiment ? s'est-il enflammé tandis que nous nous dirigions vers le tas de bois. Quand on ne peut plus s'aider soi-même, il faut essayer d'aider les autres. Enfin, je ne vois pas d'autre solution et c'était une chance à saisir au vol. Oublions un instant le côté scabreux de l'entreprise, mais c'est ainsi, ne revenons pas là-dessus, et pense à tous ces gens, ces familles entières qui sont à la merci de cet individu… Tu sais bien que rien n'est à moi. Mais la Camex n'a qu'à fermer seulement six mois et c'est toute la ville qu'on prend à la gorge…!
Nous nous sommes arrêtés pour prendre quelques bûches. Je n'aimais pas tellement ses explications, ni la manière dont il me les donnait. Il me semblait aussi un peu trop emporté, trop impatient d'emprunter cette nouvelle voie qui constituait à chercher son salut par personne interposée. Pas lui, pas sous cette forme. Et je n'aimais pas non plus qu'il me dise qu'il ne pouvait plus s'aider lui-même. Ce n'était pas le moment. J'estimais que la situation était assez instable telle qu'elle se présentait déjà. J'aurais été heureux que nous ne la minions pas davantage avec nos états d'âme, si c'était possible. Mais peut-être valait-il mieux que nous n'en parlions pas. Toutefois, pour surmonter le malaise qui m'envahissait, je lui ai laissé tomber une bûche sur le pied.
Cela nous a permis de respirer, lui et moi. Son cri a fait s'envoler une corneille perchée dans les branches et l'oiseau noir s'est évaporé dans les airs à mon grand soulagement. Je me suis d'ailleurs secoué et me suis réjoui d'avance que nous préparions un feu car la fraîcheur ne tarderait pas à nous surprendre.
En regardant les flammes, j'ai pensé à Eileen Mac Keogh.
Philippe Djian, Assassins, Paris, Folio Gallimard, 1994, p. 83-84.