Six mois plus tard, vers dix heures également, le même Félix Ferrer descendit d'un taxi devant le terminal B de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, sous un soleil naïf de juin, voilé vers le nord-ouest. Comme Ferrer arrivait très en avance, l'enregistrement de son vol n'avait pas commencé : pendant trois petits quarts d'heure, l'homme dut arpenter les halls en poussant un chariot chargé d'une sacoche, d'un sac et de son manteau devenu épais pour la saison. Une fois qu'il eut repris un café, acheté des mouchoirs jetables et de l'aspirine effervescente, il chercha quelque endroit tranquille où patienter en paix.
S'il eut du mal à en trouver, c'est qu'un aéroport n'existe pas en soi. Ce n'est qu'un lieu de passage, un sas, une fragile façade au milieu d'une plaine, un belvédère ceint de pistes où bondissent des lapins à l'haleine chargée de kérosène, une plaque tournante infestée de courants d'air qui charrient une grande variété de corpuscules aux innombrables origines — grains de sable de tous les déserts, paillettes d'or et de mica de tous les fleuves, poussières volcaniques ou radioactives, pollens et virus, cendre de cigare et poudre de riz. Trouver un coin paisible n'y est pas des plus faciles mais Ferrer finit par découvrir, au sous-sol du terminal, un centre spirituel œcuménique dans les fauteuils duquel on pouvait calmement ne pas penser à grand-chose. Il y tua un peu de temps avant de faire enregistrer ses bagages et de traîner en zone détaxée où il n'acquit aucun alcool ni tabac ni parfum, ni rien. Il ne partait pas en vacances. Il n'était pas question de s'alourdir.

Jean Echenoz, Je m'en vais, Les éditions de minuit, collection Mdouble, 1999-2001, p. 10.