Enfermé dans sa cabine, Paul tombait également sans cesse, en tout sens, bientôt ne s'y retrouvait même plus dans l'espace : les repères ordinairement constituées par le haut et le bas, la gauche ou le sud, se trouvaient abrogés par la tempête au même titre que le temps.
(…)
Ce qui se présenta sous ses yeux, lorsque nombre d'heures plus tard il les eut rouverts, était de prime abord une chose abstraite, et son cerveau eut un peu de mal à traiter cette information. Puis cela se rétablit : envisagés en torve contre-plongée, ce n'était que débris et déchirures d'objets, d'envers d'objets, traces de chocs d'objets sur d'autres, tous plus ou moins piquetés de nourriture plus ou moins digérée. Le bat-flanc s'était descellé de la paroi et le sommier brisé, répandu au milieu de la cabine, avait laissé fuir son matelas échoué dans la tourmente sur Paul inconscient. Le matelas pesait sur sa poitrine ainsi qu'un requin mort. Le reste de son corps se trouvait rencogné sous l'abattant désarticulé de la tablette, sa tête étant à moitié prise dans un sac bleu venu d'ailleurs.

Jean Echenoz, L'équipée malaise, Paris, Les Éditions de Minuit Mdouble, 1986-1999, p. 171.