LA CAVE DE LA MAISON D'INDIANA STREET ÉTAIT PLUS QUE SON SOUS-SOL — PARTIE DE LA MAISON MAIS MONDE À PART ÉTRANGER AU MONDE DIURNE D'EN HAUT — CONCENTRÉ MONISTE ET COMME SON CONTRAIRE LE GRENIER PAS FAITE POUR ÊTRE RÉELLEMENT HABITÉE — ELLE REGORGEAIT D'ESPACES ET D'OBJETS AMBIVALENTS — L'ÉNORME CHAUDIÈRE À CHARBON EN FONTE ÉTAIT IMPOSANTE ET INTIMIDANTE — L'APRÈS MIDI L'HIVER JE DEVAIS L'ALIMENTER GRATTER LES GRILLES DU FOYER POUR EN TIRER DES NUAGES DE CENDRE ET SI ÇA NE PROVOQUAIT PAS D'APPEL D'AIR FOURGONNER AVEC UN LONG RINGARD DE FER POUR DÉGAGER LES SCORIES LE VISAGE FLÉTRI PAR LA CHALEUR — PUIS LES LOURDS MORCEAUX D'ANTHRACITE QUE MES BRAS DE DIX ANS DEVAIENT ENFOURNER AVEC LA GRANDE PELLE ET LES ASPIRAUX QU'IL FALLAIT MINUTIEUSEMENT RÉGLER POUR AUGMENTER OU DIMINUER LE TIRAGE — DES DISQUES VISSÉS OU DÉVISSÉS OUVRAIENT OU FERMAIENT DES OUVERTURES DE FINES CHAÎNES PASSANT DANS DE MINUSCULES POULIES SOULEVAIENT DE PETITES TRAPPES OBTURANT DES FENTES HORIZONTALES — ET LA CHAUDIÈRE TRÔNAIT LÀ DE TOUTE SA PRÉSENCE MASSIVE "FIRE KING" GRAVÉ AVEC UNE FIORITURE SUR SA PORTE EN FONTE BAPTISÉE ET RESPIRANT DIFFICILEMENT OU DU MOINS EXPIRANT BRASILLANT BRILLANT D'UNE COULEUR ORANGE ET ROUGE DANS LES FENTES LEVANT SA TÊTE DE MÉDUSE HÉRISSÉE DE TUYAUX SE TORDANT VERS LES BOUCHES DE CHALEUR DES ÉTAGES — ET TOUT AUTOUR LES SOMBRES RECOINS PLEINS DE TOILES D'ARAIGNÉE — ICI UN ESPACE CARACTÉRISÉ PAR DEUX CLOUS POUR SUSPENDRE QUOI ? — LÀ UNE MOISE FENDUE MAIS JAMAIS RÉPARÉE — CONTRE UN MUR DEUX ÉCHEVEAUX DE VIEILLE CORDE INUTILISÉS DEPUIS QUAND ? — UN MUR D'ÉTAGÈRES OÙ DES BOCAUX DE PÊCHES DE CONFITURE DE TOMATES LUISAIENT FAIBLEMENT — L'ÉTABLI POUSSIÉREUX JONCHÉ D'OUTILS ROUILLÉS RAREMENT UTILISÉS — LE COFFRE À CHARBON ÉTAIT UN LIEU À PART OÙ MON PÈRE SON AMI CHARLEY DIXON ME TENANT TÊTE MUSCLÉE DE MOTARD BLEUE AUX ENDROITS RASÉS M'AVAIT ARRACHÉ UNE DENT DE LAIT POURRIE AVEC DES TENAILLES POUR ÉCONOMISER LES FRAIS DE DENTISTE — RAPIDE ET TRAUMATISANT MAIS C'ÉTAIT APRÈS LA DÉPRESSION — ET POURQUOI LE FAIRE À LA CAVE ? — PARCE QUE C'ÉTAIT LÀ OÙ SE TROUVAIENT LES TENAILLES — ET JUSTE AU-DESSUS DE NOS TÊTES UNE DEMI-DOUZAINE DE POUTRES NOIRCIES ET CARBONISÉES — TRACES D'INCENDIE MAIS COMMENT QUAND QUI ? — SECRETS ARCHÉOLOGIQUES DE LA CAVE POUR RAPPELER ÉTRANGEMENT QUE DES INCONNUS À JAMAIS INCONNUS ÉTAIENT PASSÉS PAR LÀ VERS LE FOND DE LA CAVE UNE DEMI-DOUZAINE DE MARCHES EN BÉTON MONTANT VERS L'EXTÉRIEUR ÉTAIENT RECOUVERTES D'UNE PORTE INCLINÉE D'ABRI ANTICYCLONE FORMANT UN ESPACE OBLIQUE ET RESTREINT OÙ JE ME GLISSAIS PARFOIS — QUAND J'ENTROUVRAIS LA PORTE EXTÉRIEURE J'ÉTAIS DANS UN CHAR EN AFRIQUE DU NORD AVEC ROMMEL DANS UNE TEMPÊTE DE POUSSIÈRE — QUAND JE LA REFERMAIS JE ME RETROUVAIS DANS L'OBSCURITÉ CHTONIENNE UN ESPACE ÉCARTÉ ET DISTINCT À L'ÉCOUTE DES BRUITS DE L'ÉTAGE DES CONVERSATIONS ÉTOUFFÉES ET DU PARQUET CRAQUANT SOUS LES PAS AU-DESSUS DE MOI TÉMOIN IGNORÉ — LA CHAUDIÈRE VIBRAIT — JE ME FAISAIS AU SENTIMENT DE L'EXIL IMAGINANT QU'ON M'AVAIT RELÉGUÉ DANS UN AILLEURS INCONCEVABLE RENFERMÉ DANS UN ESPACE INACCESSIBLE ET OUBLIÉ JOUANT AVEC LA SENSATION D'ÊTRE PRÈS DE SUCCOMBER À LA PANIQUE — PUIS IL Y AVAIT LE PASSAGE ENTRE LA CHAUDIÈRE ET LE MUR OÙ JE POUVAIS JUSTE ME FAUFILER SENTANT EN MÊME TEMPS LA CHALEUR DE LA FONTE SUR LE VENTRE ET LE FROID HUMIDE DU MUR DE PIERRE DANS LE DOS — IL M'ARRIVAIT DE GRIMPER DANS LE LONG COFFRE EN CÈDRE DE RABATTRE LE COUVERCLE ET DE ME BLOTTIR DANS LE NID DE COUVERTURES PLONGÉ DANS L'ODEUR PARFUMÉE D'UNE NUIT D'ENCRE — SÉRIE DE MILIEUX ACCESSIBLES À MON CORPS SEUL — ESPACES PRESQUE AVEUGLES — EXCENTRÉS IGNORÉS QUE J'ÉTAIS SEUL À FRÉQUENTER — ESPACES QUE JE SENTAIS M'ATTENDRE ET ME RAPPELER POUR DES CONFRONTATIONS — ESPACES QUI PENDANT LES COURTS INSTANTS OÙ JE SCRUTAIS LEUR PÉNOMBRE POUSSIÉREUSE OU M'ABANDONNAIS À LEUR OBSCURITÉ COMPLÈTE AFFIRMAIENT L'ABSENCE SUR UN TON ACCUSATEUR — DANS CETTE CAVE D'OÙ LE RÈGNE TOTALITAIRE DU VISUEL ÉTAIT BANNI JE DEVENAIS PERMÉABLE À L'ABSENCE ET JE SENTAIS SON AVEUGLE AGRESSIVITÉ ENVAHIR ET MINER LE SIÈGE DU MOI ET M'OUVRIR À SON FLUX — AFFRANCHI DES IMAGES DILATÉ PAR L'ABSENCE JE PERDAIS MON IDENTITÉ ET LE RECONNAISSAIS EN ME FONDANT DANS L'ABSENCE — LA CAVE ÉTAIT POUR MOI LE MIROIR DE L'INQUIÉTANT —

Robert Morris, Télégramme, Les années rationnées, trad. Thierry Dubois, Genève, éditions MAMCO, 2000.