Pour avoir vécu quelques mois parmi eux, j'avais compris une chose : que sur Cerclon, l'avachissement des corps — tout comme la mollesse des idées qui n'en était qu'un symptôme) provenait de notre environnement physique. Plus profondément : de la façon dont on avait adouci le monde physique au sein duquel nous étions forcés d'évoluer, et facilité nos rapport corporels avec ce monde. Que faisaient les architectes de Cerclon ? Ils raréfiaient. Ils simplifiaient. Ils agençaient des espaces, des objets et des flux (électricité, eau, air, merdes à évacuer, mouvements, etc.), mais pour les articuler dans un système clos où chaque relation, d'espace à objet, d'objet à flux ou de flux à espace se trouvait commodément définie et figée.

(…)

Je ne faisais pas l'éloge du grand air, de la pure nature et des pieds nus dans la terre, puisque l'air de la radzone était le plus vicié qui soit et la terre, ici, plus radioactive que la pile nucléaire d'un glisseur ; puisque de nature, il n'y avait qu'une friche industrielle toxique et rouillée. Je faisais l'éloge d'un rapport roboratif au monde physique. Un cadre baroque comme la radzone, instable par nature, c'était un monde avec lequel notre organisme ne pouvait se composer que pour s'affermir, pour développer ses forces vitales et pour créer.

Alain Damasio, La zone du dehors, Clamart, La Volte Folio Gallimard, 2007, p. 123-124.