En 1972, Jean Clottes et Robert Simonnet publient leur étude d'un réseau souterrain parcouru par les Préhistoriques, appartenant au même système que la grotte de Niaux, et baptisé le "réseau Clastres"[1] : quelques dessins rupestres y sont révélés, mais surtout plus de 600 empreintes humaine signalent plusieurs passages humains. La même année marque la découverte de la grotte de Fontanet (Ariège) par le spéléologue Luc Wahl : son étude par l'équipe de Léon Pales révèle à la communauté scientifique la fécondité des explorations d'ichnologie préhistorique. La cavité fut occupée très peu de temps par les Paléolithiques, car un éboulis vint en interdire l'accès. Des précautions furent prises dés la première exploration pour que soient conservées les multiples empreintes de pieds, de mains, et des dessins ponctués au sol datant de plus de 12000 ans. La grotte offre un véritable instantané de la vie des Magdaléniens. Son sol livre des vestiges remarquables, telle cette empreinte d'un pied portant une sorte de mocassin en tissu souple — le seul exemple d'un pied chaussé au Paléolithique. Le moulage des surfaces larges fait apparaître des empreintes de mains — l'une d'elles, appuyée dorsalement, donne à voir jusqu'aux ongles de deux doigts, dont on distingue parfaitement le contour : c'est la main d'un jeune adolescent. Apparaissent aussi au sol des ponctuations ou des cupules faites avec le bout du doigt ou avec un petit objet : certaines de ces dépressions ont brisé le revêtement de calcite et s'enfoncent dans l'argile molle.

En d'autres endroits, sur le massif argileux, un petit enfant a laissé les empreintes de ses mains ; mêlées aux traces de l'enfant, on découvre celles d'un renardeau qui l'accompagne tout au long de son itinéraire. On voit l'enfant déraper, s'appuyer sur une motte d'argile, on lit distinctement la piste du renardeau, qui vient par endroits se superposer à celle de l'enfant, tandis que d'autre fois les traces de l'enfant recouvrent l'empreinte des quatre coussinets de la patte du petit renard : cette double piste révèle une réelle concomitance de leur présence, peut-être même leurs jeux. Ces traces nous invitent à reconstituer les corps qui ont produit ces empreintes, et à retrouver ainsi une sorte d'intimité avec les Hommes du Paléolithique. "Il y a douze mille ans, un petit groupe de magdaléniens est venu s'abriter, manger, peindre ou graver dans cette grotte, en laissant les enfants vaquer à leur jeux et leurs explorations. Il est difficile de savoir si nous arriverons un jour à pénétrer l'esprit de cette humanité d'avant l'écriture. Mais leurs traces sont l'occasion de mieux les connaître, de les démystifier, et de les rendre plus proches de nous, plus humains"[2], remarque Michel Garcia qui s'est attaché à ce minutieux relevé.

Les pistes indiquent que souvent les enfants s'aventurent dans des lieux étroits ou bas : à l'écart de celles des adultes, leurs empreintes témoignent peut-être de leur goût pour les explorations, les flaques d'eau ; les piétinements dans la boue, les jeux dans le sable, les jeux avec des boulettes de terre[3], instantanés de vie fixés et racontés dans ce livre d'argile. Dans la grotte de Foissac (Aveyron), l'étude ichnologique révèle l'empreinte d'un panier de fibres tissées inscrite dans l'argile meuble et, tout près, celles des pieds d'un nourrisson appuyé sur la paroi[4]… On imagine la scène, préservée dans sa simplicité émouvante : un petit enfant couché dans son berceau, poussant le mur de toutes la force de ses petites jambes. Cette scène, vieille de quelque 9000 ans, laisse une impression intense de présence et de vie : c'est là le bénéfice de ce délicat travail de relevé et d'interprétation[5].

Claudine Cohen, La méthode de Zadig, La trace, le fossile, la preuve, Paris, Seuil, 2011, p. 94-95

[1] J. Clottes et R. Simonnet, "Le réseau Clastres de la caverne de Niaux (Ariège)", Bulletin de la société préhistorique française, t. 69, 1972, "Études et travaux", fasc. 1, p. 293-323.
[2] Cité in C. Cohen, "Pour une préhistoire du geste…", art. cité.
[3] Leon Pales, Marie Tassin de Saint-Péreuse et Michel-Alain Garcia, Les Empreintes de pieds humains dans les cavernes. Les empreintes du réseau Nord de la caverne de Niaux (Ariège), Archives de l'Institut de paléontologie humaine, Paris, Masson, 1976.
[4] Michel-Alain Garcia et François Rouzaud, "Les exploitations chalcolithiques d'argile dans la grotte de Foissac (Aveyron)", Terre cuite et société. XIVes Rencontres internationales d'archéologie et d'histoire d'Antibes, Juan-les-Pins, 1994, p. 13-18.
[5] Voir également l'étude par Michel-A. Garcia et Philippe Morel sur l'utilisation de l'argile dans la grotte de Montespan-Ganties : "Restes et reliefs : présence de l'homme et de l'ours des cavernes dans la grotte de Montespan-Ganties, Haute-Garonne", Anthropozoologica, 21, 1995, p. 293-323.