Dans un examen des pratiques journalières qui articulent cette expérience, l'opposition entre "lieu" et "espace" renverra plutôt, dans les récits, à deux sortes de déterminations : l'une, par des objets qui seraient finalement réductibles à l'être-là d'un mort, loi d'un "lieu" (du caillou au cadavre, un corps inerte semble toujours, en Occident, fonder un lieu et en faire la figure d'un tombeau) ; l'autre, par des opérations qui, affectées à une pierre, à un arbre ou à un être humain, spécifient des "espaces" par les actions de sujets historiques (un mouvement semble toujours conditionner la production d'un espace et l'associer à une histoire). Entre ces deux déterminations, il y a des passages, tels que la mise à mort (ou mise en paysage) des héros transgresseurs de frontières et qui, coupables d'avoir attenté à la loi du lieu, en fournissent la restauration par leur tombeau ; ou bien, au contraire, le réveil des objets inertes (une table, une forêt, un personnage de l'environnement) qui, sortant de leur stabilité, muent le lieu où ils gisaient en l'étrangeté de leur propre espace.

Michel de Certeau, L'invention du quotidien, 1. arts de faire, Paris, Folio essais Gallimard, 1990, p. 174.