Si cet atelier devint aisément, au fil des jours, une installation donnant corps à des scénographies mouvantes et déplaçables, en expansion perpétuelle dans le temps et l'espace, c'est qu'une partie de son rôle fut peu à peu d'absorber ce qui vient de l'extérieur : les aciers émaillés à l'usine, de même que les objets hétéroclites ramassés régulièrement dans la rue. "L'outil de l'étalier est l'atelier lui-même et sa blancheur, œuvrant à l'absorption de tout ce qui fait trouble au dehors…", notait avec pertinence Elisabeth Milon[1]. Car durant les heures qu'elle a passées dans son atelier à déplacer ses tôles, à prévoir des arrangements inédits, Laura Lamiel a découvert que les objets les plus humbles du quotidien : une chaise, un bol contenant de la peinture noire, un gant oublié sur un rebord d'une fenêtre, pouvaient dialoguer avec une extrême intensité avec les surfaces. Mieux, il lui sembla que ces objets marqués par l'usage, déformés, salis, avaient capacité de réduire l'apparente neutralité des modules voués à la pureté du blanc, non pas en se rajoutant à l'espace de l'œuvre sur un mode arbitraire, mais en se posant comme éléments catalyseurs de la vie même. La force particulière de l'expérience proposée par les dispositifs imaginés par Laura Lamiel tient autant à la vision d'une situation inhabituelle qu'à l'immersion soudaine dans un espace qui rayonne de la présence de l'absence.
Anne Tronche, Laura Lamiel, La pensée du chat, Paris, éditions Actes sud / Crestet centre d'art, 2001, p. 17-18.
[1] Elisabeth Milon, Avoir lieu, ouvrage conçu et réalisé par Laura Lamiel et Elisabeth Milon, qui donna lieu à une édition courante et une édition de luxe intégrant un multiple, éditions Au Figuré et Galerie Anton Weller, Paris, 1996.