Horlock a ajouté un avenant au verdict des jurés : "Nous considérons que le législateur devrait prendre des mesures pour mettre un terme à la littérature aussi violente que choquante qui est en vente partout et dont nous pensons qu'elle inspire maints crimes affreux."
"On ne peut qu'être d'accord avec cela", approuva Lewis.
Au milieu des années 1890, la vogue des petits romans à sensation, les penny deadfuls (comme les nommait la presse) ou penny bloods (terme employé par les marchands de journaux et les écoliers), était un motif d'inquiétude générale. "Des tonnes de cette ordure sont vomies chaque jour par Fleet Street[1], observait le Motherwell Times en 1895, et ingérées par ceux dont les aptitudes mentales sont au niveau de l'aliment dont ils ont un besoin maladif." Plus d'un million de périodiques destinés aux jeunes garçons se vendaient chaque semaine, en majeure partie à des enfants des classes laborieuses qui avaient appris à lire dans les écoles primaires publiques créés au cours des deux précédentes décennies. Une loi votée par le Parlement en 1870 avait donné aux autorités locales le pouvoir d'imposer la fréquentation de celles-ci, et des lois ultérieures avaient rendu l'enseignement élémentaire obligatoire (en 1880) puis gratuit (en 1881). Entre 1870 et 1885, le nombre d'enfants allant à l'école tripla. En 1892, quatre millions et demi d'enfants fréquentaient l'école primaire. On assistait là, chose nouvelle, à un afflux de jeunes sachant lire et qui recherchaient la littérature à deux sous comme un dérivatif au rabâchage et aux exercices du programme scolaire, puis aux tâches répétitives d'une industrie mécanisée vers laquelle beaucoup étaient dirigés. Comme ces livraisons bon marché se vendaient au coin des rues, dans les parcs et les cours d'usines, chaque exemplaire passait entre les mains de nombreux lecteurs. Cette penny fiction fut en Grande-Bretagne le premier état de la culture populaire produite en série pour la jeunesse, et on la tint souvent pour responsable du déclin des belles-lettres et de la moralité.
Ces publications valaient un demi-penny, un penny ou deux pence en fonction de la longueur de l'histoire, tandis que les véritables romans pour jeunes garçons — que ce soit Robinson Crusoé ou Le Prisonnier de Zenda ou encore les romans de Walter Scott ou de Jules Verne — coûtaient aux moins deux ou trois shillings piàce. La majorité de ce que lisait Robert consistait en brochures de soixante-quatre pages vendues deux pence, avec un titre en écarlate et jaune se détachant sur une illustration de couverture aux couleurs criardes. D'un format de quinze centimètres sur vingt, elles étaient de dimensions suffisamment réduites pour être glissées à l'intérieur d'une poche de veste ou entre les pages d'un manuel scolaire ou d'un livre de prières. On se les procurait chez les dépositaires de journaux, les marchands de tabac, dans les épiceries et les confiseries.
Kate Sumerscale, Un singulier garçon, le mystère d'un enfant matricide à l'époque victorienne, trad. Éric Chédaille, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2016, p. 140-141.
[1] Rue où se trouvait le siège de beaucoup de grands journaux londoniens.