Mais si l'art est généralement cela — alors la sculpture, particulièrement, est le matériau unique et le signe temporel de ce lieu partiellement rempli ; la preuve physique et tangible de la possibilité (et de la limitation) du lieu humain ; l'incarnation fuyante de son essence de lieu. La sculpture est un lieu ressenti comme objet matériel ; ressenti comme la masse des connexions humaines dans l'espace ; comme l'imposition, réelle, palpable, de frontières constamment mouvantes. La sculpture est une chose qui se ressent comme un lieu. La sculpture est l'objet tout juste humanisé ; l'objet le plus profondément humanisé ; l'objet juste assez humanisé pour qu'on reconnaisse (et même accentue) l'ambiguïté inévitable de notre — de sa — place dans le monde.
La sculpture est le lieu où le lieu n'est qu'à peine possible. C'est le lieu où nous commençons à rencontrer le sens de la culture. C'est le signe le plus dépouillé de notre terre. — La sculpture est ce lieu juste inaccessible. La sculpture est l'objet qui marque le paradoxe de notre être spatial — et spécial. C'est notre constatation la plus concrète des ramifications insolentes et imprévisibles — pour les objets et pour nous — de la transformation de l'espace en lieu. La sculpture est la cicatrice de ce besoin irréalisable de conjonction entre l'objet, l'espace, la personne et moi. C'est l'imposition effrayante de la prévisibilité, et pour moi l'impossible tentation de la refuser. La sculpture est ma réaction désespérée à la froide indifférence du monde à mon égard, et au désir brûlant que j'en ai. — La sculpture c'est cela, et aussi la marque de cela ; sa blessure, sa trace et sa cicatrice. La sculpture est la trace matérielle la plus succincte que l'essence de lieu — et l'absence — peut laisser. C'est là sa force est sa puissance.

La sculpture est notre trace la plus physique de lieu ; notre trace la plus tumescente de lieu. La sculpture c'est l'art transformé dans un temps autre, gonflé et durci pour passer du lieu à la chose réelle. La sculpture c'est l'absence constatée à travers l'essence de lieu, puis refaite objet. La sculpture c'est la présence solidifiée de l'absence, ici et maintenant.

Richard Nonas, Get Out, Stay Away, Come Back, À propos de la sculpture et de la sculpture en œuvre, trad. Mathilde Bellaigue, Dijon, Les Presses du Réel ; Chalon-sur-Saône, La vie des formes, 1995, p. 12-13.