Car "la seule finalité acceptable des activités humaines, écrit Guattari, est la production d'une subjectivité auto-enrichissant de façon continue son rapport au monde[1]." Une définition qui s'applique idéalement aux pratiques d'artistes contemporains : créant et mettant en scène des dispositifs d'existence incluant méthodes de travail et modes d'être, en lieu et place des objets concrets qui délimitaient jusqu'alors le champ de l'art, ils utilisent le temps comme un matériau. La forme prime sur la chose, les flux sur les catégories : la production de gestes l'emporte sur celle des choses matérielles. Les regardeurs sont aujourd'hui amenés à franchir le seuil de "modules temporels catalyseurs", plus qu'à contempler des objets immanents clos sur leur monde de référence. L'artiste va jusqu'à se présenter comme un univers de subjectivation en marche, comme le mannequin de sa propre subjectivité : il devient alors le terrain d'expériences privilégiées et le principe synthétique de son œuvre, évolution que préfigure toute l'histoire de la modernité. L'objet d'art, dans cette économie comportementale, acquiert une sorte d'aura déceptive, agent de résistance à sa distribution marchande ou parasite mimétique de celle-ci.

Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Dijon, éditions Les Presses du Réel, 2001, p. 107-108.

[1] Chaosmose, p. 38.