En ce qui concerne l'idée d'"intégrer le merveilleux dans le quotidien et insérer l'art dans la vie, en lui faisant jouer un rôle de sujet révolutionnaire" (Cf. Mirella Bandini, L'esthetico, il politico, Officina, Rome, 1977), la différence développée sur le plan théorico-pratique par l'expressivité artistique diffuse, découle de la conscience que l'acte artistique, s'il ne doit pas sublimer l'action politique, ne doit pas non plus la remplacer. C'est justement ce qu'on peut vérifier dans ce propos, tiré d'une interview d'un group de rock : "Toutes les formes d'art peuvent nourrir la lutte politique, sans pour autant pouvoir la remplacer" (cf. Marco Schettini, Segnali antagonisti. The gang, in Democrazia proletraria n°2, 1987). Pour l'expressivité artistique diffuse, la nouvelle connexion entre l'art et la vie consiste en l'intégration de l'acte artistique, en tant que modalité d'expérience accessible à tous, dans le continuum du flux existentiel. Celui-ci jaillit de la perception de soi et de ses propres besoins ; il passe par l'expression de ce même "soi" et par la socialisation de ses besoins ; il finit par se répandre dans l'action transformative.
Par conséquent, l'expression artistique accompagne ce processus dans chacune de ses étapes, en tant qu'expérience libératoire, symbolisante et communicative, dans le contexte d'une nouvelle logique relationnelle fondée sur la réciprocité et ouverte au devenir.
Ces raisonnements se rapportent à la problématique de la relation art-vie que plusieurs avant-gardes des années 70 ont reprises à leur compte, depuis l'Arte Povera jusqu'au Body Art, de l'art sociologique au Narrative Art, pendant qu'une partie de la critique débattait du dilemme "réalisation ou dépassement de l'art ?"
Aujourd'hui nous pouvons vérifier, grâce aussi à la profonde réflexion analytique de l'art sur lui-même, qu'il ne fallait pas poser le problème en invoquant la dissolution de l'art dans la vie ou bien la globalisation artistique de la vie. L'aspiration idéaliste à la "libération artistique de l'homme" s'est réalisée d'une certaine façon sur le plan social, mais en tant qu'esthétisation mystifiante d'une société fondée sur le spectacle de masse. C'est une esthétisation qui sert à compenser l'aliénation du système productif et à approvisionner la consommation qu'elle suscite.
Il me semble que des résultats analogues peuvent découler de la prétendue "nouvelle individualisation" du spectacle mass médiatique, obtenue grâce à des récepteurs plus sophistiqués et plus personnalisés.
Pour conclure, il fallait poser le problème en visant le noyau concret du changement des statuts historico-sociaux de l'art, dans le contexte d'un changement de société, en sachant bien que l'art participe à "la totalité quand il collabore à sa réalisation politique et sociale, en endossant l'aspect subjectif de la lutte" (cf. Alfredo de Paz, La non-arte (Le non art) dans Alfabeta n°14, 1980).
Il semblerait qu'aujourd'hui le problème se pose à nouveau, grâce au désir renouvelé des jeunes artistes d'atteindre le sens, à l'appropriation créative du médium vidéo et digital, à l'effort critique visant à rétablir une liaison entre les signes, les significations et leur emploi social. C'est pourquoi, à mon avis, il faut réévaluer sérieusement l'expérience du mouvement de l'expressivité artistique diffuse toute aussi contaminée et instable qu'elle soit. Il est vrai qu'à l'intérieur de celle-ci, certains des statuts traditionnels de l'art semblent déjà dépassés en raison de son extension sociale et de son intime participation aux processus de la vie. C'est dans ce sens qu'il faut considérer aussi sa contribution potentielle au problème, dont bien des artistes perçoivent l'urgence, d'une nouvelle "projectualité" culturelle, socialement engagée.
Piero Gilardi, "L'autodétermination artistique et culturelle pour la construction du neuf", Turin, 1987, Contribution présentée au séminaire : L'arte e la critica per la costruzione del nuovo, Turin, 20 mars 1987, in, Not for sale, À la recherche de l'art relationnel 1982-2000, Dijon, Les presses du réel, 2002, p. 72-73.