Un singulier réveil se produit incontestablement, dans la première décennie du XVe siècle, au sein d'un petit cercle de maître florentins. Une nouvelle idée de l'artiste s'y fait jour, qui diffère radicalement de celle des artisans et des ouvriers de jadis. L'artiste prend conscience de ses pouvoirs intellectuels et créateurs, et considère son talent comme un don du ciel consenti à quelques élus. Le locus classicus du nouvel idéal de l'artiste est le De la peinture de Leon Battista Alberti, rédigé en 1435. Alberti y fait un portait détaillé de l'artiste moderne idéal et décrit le bagage moral et intellectuel qui est exigé de ce dernier, insistant beaucoup sur la nécessité d'asseoir la pratique de l'art sur de solides fondements théoriques.
Dans la conception médiévale, les arts visuels étaient assimilés aux arts mécaniques, et non aux arts libéraux, dont le cycle se limitait aux sciences du discours et aux mathématiques. La nouvelle race de peintres, de sculpteurs et d'architectes entend se compter parmi les représentants des arts libéraux et se hisser au même rang que les rhétoriciens, les poètes et ceux qui étudient la géométrie. Ce nouveau type d'artiste se doit de reconnaître le fondement scientifique de son art, d'avoir une formation théorique et de contribuer même, si possible, à la théorie de l'art. La pratique des arts s'assortit donc désormais de considérations théoriques ou, plus exactement — et cela devient un article de foi pour les artistes d'avant-garde — , la théorie est partie prenante de la pratique.
Rudolf Wittkower, Qu'est-ce que la sculpture ? [1977], trad. Béatrice Bonne, Paris, Macula, 1995, p. 81.