Concrètement : il faut qu'apparaisse un système libre, autogéré, d'écoles et d'universités. Quand ce domaine sera libéré, le travail, dans toutes les autres sphères de l'économie, sera libéré par la création de lois économiques correspondant à une ère nouvelle. Aujourd'hui, la capacité qui soutient le travail, c'est LE CAPITAL ! L'argent n'est nullement une valeur économique. Les deux véritables valeurs économiques sont la capacité (la créativité) et le produit, dans le lien qu'ils ont l'une à l'autre. La formule de concept élargi de l'art s'explique donc : ART = CAPITAL. Il est aujourd'hui possible de créer les produits dont nous avons réellement besoin. Tout ce que nous devons acheter aujourd'hui, selon la volonté d'un capitalisme privé avide de profits, nous n'en avons pas besoin ! Tout ce dont nous n'avons pas besoin, vous le connaissez bien ! Nous devrions interdire tout ce qui nous empêche de nous connaître nous-mêmes. Nous aurons ainsi des lois économiques qui clarifieront la fonction de l'argent, car la libération de l'argent est une condition de la libération du travail. Cette libération, qui surmonte le rôle joué par l'argent comme produit et moyen d'échanges, et en fait une base fonctionnelle du droit — et même des droits de l'homme —, provoque ensuite la démocratisation du processus monétaire. La démocratie apparente, qui ne sert qu'à masquer le pouvoir de l'argent, devient alors une véritable démocratie.
Je devrais vous donner ici une indication sur les grandes possibilités qui sont les nôtres. En haut lieu, dans les cercles du pouvoir, on affirme souvent que l'économie mondiale de cette nouvelle ère serait trop compliquée pour que les gens simples puissent la comprendre. En fait, si le système économique actuel est déjà si compliqué, c'est parce que personne ne doit le comprendre, exceptés ceux qui détiennent le pouvoir de l'argent. Mais en ce qui concerne ce dont nous avons besoin, cette image que j'ai tenté de tracer, deux choses jouent : la liberté et les droits. La première chose, c'est la liberté. La deuxième, ce sont les droits engendrés par cette liberté. Des droits dont chaque homme, en participant à leur création, doit se sentir dépendant ; car la liberté ne peut pas être l'arbitraire. La liberté doit s'épanouir dans des formes rigoureuses, et l'homme étant une créature en devenir, ces droits devront sans cesse être modifiés. Ce sera la tâche de ceux qui édifieront ces droits humains. Ce fait plaide en faveur d'une nécessaire "deuxième jambe" à notre constitution : le référendum. Il faudrait en effet appliquer les termes de cette constitution qui affirme : "le peuple manifeste sa volonté par des élections et des référendums".

Joseph Beuys, "Discours sur mon pays" [1985], in Par la présente, je n'appartiens plus à l'art, trad. Olivier Mannoni et Pierre Borasa, Paris, L'arche, 1988, p. 33-34.