Le commissaire reprit son chemin, pénétra dans le bois clairsemé, traversa deux clairières où subsistaient des cabanes en ruine, et se heurta après deux kilomètres au front d'arbres plus dense. Le sentier s'arrêtait là, sur ce dernier espace d'herbes sauvages. Adamsberg s'assit sur une souche, un peu suant, écouta le vent se lever de l'est, alluma l'avant-dernière cigarette. Un froissement l'alerta. La femme était là, ayant abandonné sa carriole, le regardant de manière mitigée, désespoir et colère.

(…)

À l'entrée du bois, à l'endroit que la femme avait désigné, il distinguait une petite éminence, couverte de pierres et de rondins de bois, qui aurait pu être, chez lui, les ruines d'un abri de berger. Là devait vivre un démon dont l'oncle Slavko racontait l'histoire au jeune Danglard.
Laissant pendra sa cigarette à la lèvre, dans l'attitude du père, il marcha jusqu'au petit tertre. Au sol, à moitié envahis par l'herbe, étaient alignés une trentaine de gros rondins qui couvraient la superficie d'un long rectangle. Sur cette épaisseur de bois grossier, on avait posé autant de grosses pierres, comme si les bûches risquaient de s'envoler. Une grande pierre grise se dressait au bout du rectangle, crénelée, grossièrement taillée et gravée sur toute sa hauteur. Rien à voir avec des ruines et tout à voir avec une tombe, mais une tombe interdite, à en croire la détermination de la femme. Un personnage sacré, tabou, était enterré ici, loin des autres, hors du cimetière, une fille-mère morte en couches, un comédien disgracié, un enfant non-béni. Tout autour de la tombe, les surgeons des arbres étaient coupés, formant un encadrement déplaisant de souches naissantes pourries.

Fred Vargas, Un lieu incertain, Paris, éditions Viviane Hamy, 2008, p. 244.