Un après-midi, alors que nous tentions seuls la traversée de la rivière parce que personne n'était venu nous aider, Artemio apparut les yeux embués de larmes. Paticha était malade et la fièvre commençait à l'emporter loin de nous. Nous renonçâmes à cette traversée hasardeuse et nous nous rendîmes à la cabane d'Artemio. Paticha brûlait de tremblements fiévreux. Ses yeux brillants trouvèrent à nouveau la pipe entre mes lèvres, et elle y risqua de nouveau sa petite main. Cette fois, la chaleur du foyer ne la brûla pas puisqu'elle était déjà brûlante des derniers tremblements. Je lâchai la pipe dans sa main qui reposa le long de son corps. Nous fîmes tout ce qui était possible sur place, sans médicaments, sans docteur, sans rien, et la nuit tombée, les chiffons mouillés sur le corps de Paticha séchaient rapidement ; nous la baignâmes plusieurs fois tout habillée et la pipe dans la main. En quatre heures, elle avait quitté nos mains et la vie… Elle cessa de trembler, ferma la yeux et, finalement, se mit à refroidir, refroidir… La fièvre l'abandonnait en même temps que la vie. Sa petite main resta accrochée à la pipe, et c'est avec elle que nous l'enterrions le lendemain.
Paticha n'a jamais existé aux yeux de ce pays, elle n'est jamais morte parce que sa naissance n'a été inscrite sur aucun registre. "Non nato", c'est-à-dire "non né", telle serait plus tard la mention sur un document perdu parmi tant de bureaux et de fonctionnaires. Des enfants comme Paticha, il y en a eu et il y en a beaucoup qui partagent ces peines et ces douleurs. Ils ne sont jamais morts parce qu'ils ne sont jamais nés. Ce sont des morts qui ne valent rien et ne comptent pas lors de l'assignation de budgets, ou lors d'élection avec une "époustouflante majorité" pour les candidats "des majorités" ni lors de la signature de traités internationaux de commerce.
Je me suis trouvé une autre pipe, mais le petit morceau de cœur qui s'est enfui avec Paticha, je n'ai pu le remplacer d'aucune façon.

Sous-commandant Insurgé Marcos, Lettres à des enfants et l'histoire de Paticha, 20 mars, in Sous-commandant Marcos, Ya basta !, Les insurgés zapatistes racontent un an de révolte au Chiapas, tome 1, trad. Anatole Muchnick et Marina Urquidi, Paris, éditions Dagorno, 1996, p. 228-229.