Le capital définit traditionnellement le travail de care comme une activité censée se dérouler dans la sphère privée de la famille, plutôt que comme un "vrai travail" qui aurait sa place dans la sphère publique. Participant du domaine "privé", il est donc supposément gouverné par l'émotion, la singularité, la subjectivité et les relations concrètes. À l'inverse, le domaine "public" de la citoyenneté doit être gouverné par la rationalité, l'universalité, l'objectivité et les principes abstraits. Traditionnellement, les personnes rattachées au privé et associées à ses valeurs (les femmes, les domestiques et les enfants) étaient exclues de la citoyenneté civique et politique.
Parce qu'il est conceptuellement rivé à la sphère privée, le care n'a pas été — et n'est toujours pas — reconnu comme une contribution à la vie collective qui serait comparable aux emplois relevant du marché du travail. Comme Judith Shkhar a pu le montrer [1], le fait de gagner sa vie a longtemps été valorisé comme la source de l'indépendance nécessaire à la capacité de faire des choix raisonnés dans la sphère professionnelle et politique. C'est d'ailleurs en se revendiquant de leur condition de "travailleurs libres" que les hommes blancs obtinrent le suffrage universel masculin au XIXe siècle. Le fait de gagner sa vie est également devenu une obligation pour les citoyens, dont on considérait qu'ils remplissaient ainsi leurs devoirs comme membres à part entière de la communauté et, par conséquent, dignes de l'octroi de droits sociaux.

Evelyn Nakano Glenn, Le travail forcé : citoyenneté, obligation statutaire et assignation des femmes au care in Qu'est ce que le care ?, Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman (dir.), trad. Séverine Sofio, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2009, p. 118-119.

[1] Judith Shkhar, American Citizenship. The Quest for Inclusion, Cambridge, Harvard University Press, 1991.