Pour le reste, et sans tomber dans le naturalisme géographique ou climatique, les formes que revêt la terreur à l'âge de l'anthropocène dépendent nécessairement des contextes climatiques et des genres de vie propres à différents milieux écologiques. Tel est en particulier le cas dans l'espace sahélo-saharien africain où les dynamiques de la violence tendent à épouser celles de la mobilité spatiale et de la circulation typiques des mondes nomades désertiques ou semi-désertiques. Ici, alors que la stratégie des États depuis l'époque coloniale se fonde sur la maîtrise des territoires, celle des diverses formations de la violence (y compris terroriste) repose sur la maîtrise du mouvement et des réseaux sociaux et marchands. L'une des caractéristiques du désert est d'être fluctuant. Si le désert est fluctuant, ses lisières le sont aussi, puisqu'elles changent au gré des événements climatiques.
Typique également des espaces désertiques sahariens est l'importance des marchés et des routes qui relient les forêts du sud aux villes du Maghreb. Le terrorisme ici est un terrorisme de strates, à l'interface entre les régimes caravaniers, nomades et sédentaires. Il en est ainsi parce que espace et populations bougent constamment. L'espace n'est pas seulement traversé par le mouvement. Il est lui-même en mouvement. D'après Denis Retaillé et Olivier Walther, "cette capacité de mouvement des lieux est rendue possible par le fait qu'ils ne sont pas prioritairement déterminés par l'existence d'infrastructures rigides [1]". Ce qui compte le plus, ajoutent-ils, c'est "une forme d'organisation plus subtile que le modèle zonal fondé sur une division de l'espace en plusieurs domaines bioclimatiques [2]". La capacité de se déplacer sur des distances considérables, d'entretenir des alliances changeantes, de privilégier les flux au détriment des territoires, et de négocier l'incertitude fait partie des ressources nécessaires pour véritablement peser sur les marchés régionaux de la terreur.

Achille Mbembe, Politiques de l'inimitié, Paris, La Découverte, 2016, p. 54-55.

[1] Denis Retaillé et Olivier Walther, "Terrorisme au Sahel, De quoi parle-t-on ?", L'information géographique, vol. 75, n°3, 2011, p. 4.
[2]Ibid.