Mes "tapis-nature" eux non plus ne sont pas nés comme des tableaux, comme des objets à exposer dans une galerie, mais ils sont nés en fonction de la vie de tous les jours : je les ai pensés vraiment comme des tapis à étendre par terre sur lesquels marcher chez soi. Au fond, il y avait chez moi l'intention de faire sortir l'art des schémas conventionnels et de le faire vivre au sein de l'expérience du quotidien, avec une fonction et un mécanisme interne de type ludique. Cependant, il est évident que l'idée génératrice de mon travail a jailli d'une réflexion sur la mort de la nature, conçue comme une métaphore des pulsions humaines, anéanties et outragées par la rationalité industrielle. Je les ai représentées métaphoriquement par une "tranche" de paysage, une sorte de monument à la mémoire, fait ironiquement en polyuréthanne, un polymère tout à fait artificiel, de durée limitée. Aujourd'hui, même si on y trouve aussi d'autres tensions et d'autres finalités, il y a toujours dans l'animation politique, psychiatrique ou de quartier, cette composante ludique et participative qui dès l'origine caractérisait mes "tapis-nature", bien que l'espace vécu n'appartînt pas encore à l'espace du social, dont l'importance s'est imposée après 1968-1969.
Piero Gilardi, "Interview pour Juliet", Turin, 1986, Texte paru dans Juliet n°40, Trieste, 1986, in Not for sale, À la recherche de l'art relationnel 1982-2000, Dijon, Les presses du réel, 2002, p. 55-56.