La valeur travail pose cette équivalence, que je suis mon métier, et que sans mon métier je ne suis rien. Je travaille à Roquefort dans une boîte et je dis nous quand je parle de moi ; je suis cheminot et je dis nous quand je parle de moi ; je suis entrepreneur, agent de surface, comptable, secrétaire, juriste, magasinier, et je dis nous, ce n'est pas moi et ce n'est pas nous. Ce nous, c'est la boîte.
Je ne voudrais pas être, dans ce texte, autre qu'un spécialiste de la pomme de terre parlant de la pomme de terre : avec sérieux, distance et amitié traitant son sujet. J'appartiens à la classe moyenne et je ne me déteste pas moi-même. J'ai dit par ailleurs mon attachement à la pomme de terre, du fait qu'on prenne les gens (tas de métiers = tas de gens) pour des patates. Quelqu'un que j'ai entendu à la radio dit : Que font les autorités pour que 80% de la population ne soit pas marginalisé, du coup (du coup de la vague d'innovations NBIC)? Car on est en 2050 et les robots sont beaucoup plus avancés ; que fait-on des gens qui n'ont pas des capacités cognitives élevées, du coup ? Il restera de la place pour les chercheurs, les savants, les artistes — pas pour des cadres moyens. Jusqu'à preuve du contraire, les autorités ne mènent pas de combat pour augmenter les capacités cognitives des cadres. On se contente de l'étiage de base, en matière de Q.I. Que se passera-t-il quand les classes moyennes réaliseront que les différences cognitives se chiffrent en différence de niveau — de vie, de revenus, de tout ? Que par exemple il y a quatorze ans d'écart entre les gens à Q.I. élevé et les gens à Q.I. faible ? Et que par conséquent aider les gens qui ont des capacités cognitives faibles sera l'une des tâches majeures de la gauche, un devoir foncièrement de gauche ?
Nathalie Quintane, Que faire des classes moyennes ?, Paris, P.O.L, 2016, p. 61-63.