La microélectronique est le média qui permet les translations par lesquelles on passe du travail à la robotique et au traitement de texte, du sexe aux manipulations génétiques et aux technologies de la reproduction, de l'esprit à l'intelligence artificielle et aux procédures décisionnelles. Les nouvelles biotechnologies débordent le cadre de la reproduction humaine. La biologie, puissante science de l'ingénierie qui permet de repenser matériaux et processus, révolutionne l'industrie, en particulier dans les domaines de la fermentation, de l'agriculture et de l'énergie. Les sciences de la communication et la biologie construisent des objets de connaissance qui sont à la fois d'ordre technique et naturel et dans lesquels la différence entre machine et organisme s'efface en grande partie. Esprit, corps et outil deviennent très intimes. L'organisation matérielle "multinationale" de la production et de la reproduction de la vie quotidienne, et l'organisation symbolique de la production et de la reproduction de la culture et de l'imaginaire semblent y être autant impliquées l'une que l'autre. Les images gardes-frontières qui opposent base et superstructure, privé et public, matériel et idéal n'ont jamais semblé aussi ténues.
Quand j'ai voulu donner un nom à la situation des femmes dans ce monde si intimement restructuré par les relations sociales de science et de technologie, j'ai utilisé une image empruntée à Rachel Grossman (1980)[1] : celle des "femmes dans le circuit intégré". J'emploie l'étrange circonlocution "relations sociales de science et de technologie" pour signaler que nous n'avons pas affaire à un déterminisme technologique mais à un système historique fondé sur les relations structurées qui existent entre les gens. Mais cette expression devrait aussi indiquer que la science et la technologie fournissent de nouvelles sources de pouvoir, et que nous avons besoin de nouvelles sources d'analyse et d'action politique (Latour, 1984). Les relations sociales que peut produire la technologie de pointe entraînent certains réaménagements des notions de race, de sexe et de classe qui peuvent replacer le féminisme socialiste au centre d'une véritable politique progressiste.

Donna Haraway, "Manifeste cyborg : science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle" in Manifeste cyborg et autres essais, trad. Marie-Hélène Dumas, Charlotte Gould et Nathalie Magnan, Paris, Exils éditeur, 2007, p. 55-56.

[1] Références de base pour "les femmes dans le circuit intégré" : D'Onofrio-Flores and Pfafflin (1982), Fernadez-Kelly (1983), Fuentes and Ehrenreich (1983), Grossman (1980), Nash and Fernandez-Kelly (1983), Ong (1987) Science Policy Research Unit (1982).