— J'ai fait effectuer une plongée au commissariat d'Auxerre, où fut découpé le registre des mariages. Il y a eu une amusante déposition, il y a douze ans. Une femme choquée par une découverte macabre, un pied chaussé traînant sur un chemin de forêt. Rien de moins. Ce pied était décomposé, piqueté par les oiseaux et les carnivores. Cette femme, d'après les souvenirs du brigadier, venait d'expulser son ancien mari de sa maison de campagne. Elle se rendait sur les lieux tout juste déménagés pour en changer les serrures. Elle a découvert le vestige à quinze mètres de la porte, dans le sentier d'accès.
— À l'époque, Carnot n'a pas soupçonné le mari.
— Non, elle n'aurait jamais alerté la police. Elle avait pourtant beaucoup d'éléments pour le suspecter. Le sentier était privé, personne ne l'empruntait. Le mari venait seul à la maison forestière pendant les week-ends, depuis plus de quinze ans. Il chassait. Et cet époux fantasque et solitaire, d'après les habitants du hameau, entreposait son gibier dans un congélateur cadenassé. Il a refusé toute aide des voisins lorsque Emma Carnot l'a finalement contraint à déménager. Vous vous doutez de ce que contenait le congélateur. Un pied aura été perdu pendant son chargement précipité dans le camion. Emma Carnot aurait pu comprendre qu'il était impensable que le pied soit tombé des poches d'un inconnu ou du bec d'un oiseau. Mais elle ne voulait surtout pas comprendre.
Fred Vargas, Un lieu incertain, Paris, éditions Viviane Hamy, 2008, p. 332-333.