Ce qui vient d'être développé paraîtra sans soute banal ; mais il n'est guère possible de l'exclure d'une discussion portant sur l'observation des choses de mon environnement. Car voici au fond ce que tout cela signifie : jamais je ne puis considérer les choses de mon environnement dans une solitude authentique, c'est-à-dire dans la situation : moi et les choses. Pour que je vois quoi que ce soit, il faut toujours qu'il y ait un autre. Par exemple l'autre qui m'a enseigné à jouer aux échecs, ou l'histoire, ou la botanique. S'il n'y avait pas cet autre, il n'y aurait tout simplement pas de choses pour moi, car je ne les verrais pas. Non seulement je ne verrais pas les échecs comme jeu d'échecs ou comme phénomène historique ou comme produit en bois, mais je ne pourrais tout simplement pas les apercevoir. Dès lors, il ne suffit pas de dire que je suis toujours entouré des choses ; encore convient-il d'ajouter en toute banalité que les autres sont toujours présents.
Vilém Flusser, Choses et non-choses, esquisses phénoménologiques [1993], trad. Jean Mouchard, Rodez, éditions Jacqueline Chambon, 1996, p. 71-72.