Une pièce longue comme un hall de gare s'étendait devant eux, avec des fenêtres sur la gauche et, sur la droite, les portes des cabines de déshabillage. Par ces portes, les policiers s'étaient engouffrés. Dans les cabines, ils s'étaient déshabillés ou bien ils achevaient de le faire, on entendait encore des murmures d'étoffe, des cliquetis de ceinturons, des soupirs d'homme gras, un pet occasionnel. Une fois en caleçon, l'occupant de la cabine sortait de celle-ci par une porte opposée à la porte d'entrée, et subissait la visite médicale. Pendant ce temps, la cabine demeurait vide, fermée du côté du hall par un loquet à bascule. Les vêtements du policier, son ceinturon, son arme, reposaient sur un tabouret dans la pénombre ou pendaient à une patère.
Il y eut des bruits à l'intérieur de la première cabine, un battant claqua. Épaulard sortit de sa poche intérieure une petite lame de scie rigide, l'inséra entre la porte extérieure de la cabine et le chambranle, releva le loquet à bascule, ouvrit la porte. La cabine était vide, sauf les vêtements d'uniforme, le ceinturon, l'arme. Treuffais ouvrit sa serviette et tendit un lingot de plomb à Épaulard. Ce dernier ferma la porte sur lui. Treuffais et Buenaventura s'avancèrent vers les cabines suivantes. À l'intérieur de la première cabine, Épaulard ouvrit l'étui contenant le pistolet automatique du flic, en retira le Manurhin (licence Walther) qu'il empocha, plaça le lingot de plomb dans l'étui, reboucla l'étui. Avec ce poids familier à la ceinture, le policier mettrait sans doute un moment à constater la disparition de son pistolet, voire ne la constaterait qu'à la fin de son service.
Jean-Patrick Manchette, Nada [1972], Paris, Folio Policier Gallimard 2018, p. 50-51.