En traversant le hall, je vis un fantôme de ce traité de Bélidor que j'avais emporté quinze jours auparavant ; il était sur la même console de marbre vert. Je tâtai ma poche : je sortis le livre ; je les comparai : ce n'étaient pas deux exemplaires du même livre, mais deux fois le même exemplaire ; avec la même tache d'encre bleu ciel entourant d'un nuage le mot Perse, la même déchirure oblique sur le coin inférieur de la page de garde, dans un pli… Je parle d'une identité extérieure… il ne me fut pas possible de toucher au livre qui se trouvait sur la table. Je dus me cacher précipitamment pour n'être pas découvert (tout d'abord par quelques femmes ; puis par Morel).
Adolfo Bioy Casares, L'invention de Morel, trad. Armand Pierhal, Paris, Robert Laffont 10/18, 1973, p. 69