J'ai mon blouson spécial disparition, j'ai déchiré la doublure en ligne droite d'une aisselle à l'autre, ça me fait un grand sac dans le dos. C'est comme une hotte de Père Noël mais en plus discret, on étale pas trop ses richesses ici, surtout quand on les a pas payés.
On va manger quoi ? Des animaux morts, du lait de vache violée, des crevettes pêchées par des esclaves ou du dérivé de tomates italiennes à base du sang de l'ennemi du clan qui tient l'usine. J'ai l'impression que derrière chaque article chaque rayon, quelqu'un quelque part s'est fait baiser ou essaye de me la mettre à moi.
Des fois je me dis que j'abuse peut-être un peu avec l'herbe, que ça m'aide pas niveau parano. Pourtant là j'ai l'impression de me voir un mort derrière chaque boîte de conserve.
Je regarde les fantômes des enfants du Kenya courir sur les emballages des Mars en me jetant des fèves de cacao à la gueule. Y en a un qui me dit, si t'achètes tu cautionnes. Si tu voles, c'est pas bien mais c'est pas grave. Alors nique, j'enfonce les Mars dans mon armure de Jeanne d'Arc de la rue, et je glisse sur le sol lisse du magasin.
Nino dans la nuit, Capucine et Simon Johannin, Paris, Allia, 2019, p. 53.