Les portes-fenêtres battaient dans l'air du crépuscule. Le berger alsacien s'était échappé et chassait seul le long des deux cents mètres de la plate-forme d'observation. L'été avait pris fin. Rares étaient les gens qui venaient à présent sur la terrasse. Les lambeaux de la tente sous laquelle s'était abritée une cocktail-party, détrempés par la pluie, traînaient dans la rigole au pied du parapet. Les goélands, leurs lourdes ailes repliées, se dandinaient parmi les bâtonnets au fromage éparpillées autour d'un carton. Les palmiers en pots n'avaient pas été entretenus depuis des mois et toute la toiture ressemblait de plus en plus à un jardin de plantes voraces.
Royal descendit les marches jusqu'à la terrasse. Le regard hostile des oiseaux perchés sur les cages d'ascenseurs lui plaisait. Dans ces chaises renversées, ces palmiers languissants ou cette paire de lunettes noires abandonnée et naguère incrustée de pierreries — on les avait arrachées — il y avait comme l'espérance d'une barbarie renaissante. Pourquoi les goélands étaient-ils attirés vers ce royaume perdu, sur le toit de la tour ? Royal était près d'eux quand tout un vol prit son essor, puis se laissa tomber à la verticale pour attraper les miettes que quelqu'un venait de lancer d'un balcon, dix étages plus bas. Les oiseaux se nourrissaient des détritus jetés dans le parking, mais Royal aimait à penser que le véritable motif de leur occupation du toit était proche du sien. Venus d'un paysage plus primitif, ils avaient volé jusqu'ici pour répondre à l'appel d'une violence sacrée dont ils pressentaient l'irruption. De peur qu'ils ne repartent, Royal venait souvent les nourrir, comme pour les convaincre que cela valait la peine d'attendre.
Royal poussa les grilles rouillées du jardin et alla tirer du châssis d'une lanterne décorative une boîte de céréales normalement réservée au berger alsacien. Il sema les grains parmi les galeries de béton et les formes géométriques des sculptures. La conception du jardin lui avait donné beaucoup de plaisir, et il se désolait de le voir désormais vide d'enfants. Du moins restait-il ouvert aux oiseaux.
James Graham Ballard, I.G.H [1975], trad. Robert Louit, éditions Denoël, 2005, La trilogie de béton, Paris, Folio Gallimard, 2014, p. 547-548.