Même les arbres qui entouraient la maison étaient très hauts, plus grands que les plus grands ormes qu'il avait vus en Nouvelle-Angleterre : "Les sangliers rôdaient autrefois dans cette partie de Houston", dit son hôte, comme si c'était une explication, et sur la pelouse rendue deux fois plus verte par le vert lumineux et doré du crépuscule, des arbustes tropicaux plus petits tordaient leurs tronc caoutchouteux autour d'une grande sculpture de Jean Tinguely qui agitait des bras métalliques d'épouvantail quand on tournait un commutateur et qui lançait de l'eau par petits jets bégayants, une sculpture qui rappelait les machines volantes de la Belle Époque, un hybride de dragon et de frelon évoquant l'époque où la technique n'était que courroies et engrenages cliquetants, et où la culture était un fruit qu'il fallait cueillir sur un arbre préféré.
La maison était moderne, ç'avait été une des premières constructions modernes de Houston et elle avait été dessinée par un des architectes contemporains les plus ascétiques. Avec la meilleure volonté du monde, comment Verseau pourrait-il l'aimer ? Mais la sévérité du dessin était dissimulée par la diversité du mobilier, l'intensité de l'art, la présence de la sculpture et la plaisante conception d'une partie de la maison : le living-room avait un mur mitoyen avec un atrium vitré plein de plantes exotiques en fleurs. Aussi les conceptions chirurgicales de l'architecte étaient-elles en partie compensées par la somptuosité de l'art et par la pression tropicale du jardin dont les plantes et l'arbre qu'il contenait, éclairés par des projecteurs, possédaient un peu de ce même silence qui tombe sur un auditoire et sur une troupe quand il y a un moment privilégié de théâtre et que tout s'arrête, que tout dépend de quelque chose qu'on ne saurait définir, si bien que personne ne pense même à tousser.
Norman Mailer, Bivouac sur la lune [1969, 1970], trad. Jean Rosenthal, Paris, collection Pavillon poche éditions Robert Laffont, 1971, 2009, p. 189-190.