Royal se réfugia derrière un puits d'ascenseur. Après tout ce temps passé seul avec le chien blanc et les oiseaux, l'intrusion des humains le bouleversait. Il attira le berger alsacien contre ses jambes. Il avait décidé d'attendre dans le jardin le départ du commando féminin.
Il poussa la grille et s'avança parmi les formes géométriques des sculptures peintes. Les goélands l'entourèrent par douzaines, groupés sur les allées carrelées. Ils le suivaient d'une façon insistante, presque comme s'ils attendaient de sa part un présent.
Royal glissa sur les carreaux mouillés. Il se pencha, découvrit un bout de cartilage collé sous une de ses semelles. Afin de s'en débarrasser, il s'appuya contre une des sculptures de béton, une sphère qui lui arrivait à la taille, et qu'on avait peinte en rouge vif.
Il regarda sa main. Elle était poisseuse de sang. Les oiseaux qui se dandinaient devant lui ménagèrent un espace libre. Royal put alors constater que toute la surface du jardin était gorgée de sang. Le carrelage luisait d'un gras mucilagineux.
Le berger alsacien reniflait avidement. Il happa un lambeau de chair qu'il venait de découvrir sur le bord du petit bassin. Atterré, Royal contempla ses mains rutilantes, les carreaux éclaboussés de sang, les ossements blanchis que les oiseaux avaient nettoyés.
James Graham Ballard, I.G.H [1975], trad. Robert Louit, éditions Denoël, 2005, La trilogie de béton, Paris, Folio Gallimard, 2014, p. 666-667.