Depuis le milieu du XXe siècle, la recherche en préhistoire ne se réduit plus à décrire et classer les silex taillés, ni à répertorier les œuvres figuratives. Elle vise à reconstituer les gestes et les attitudes, l'organisation mentale, pratique, culturelle, voire sociale, des Hommes du passé. Tout un ensemble d'opérations a été mis au point pour décrypter les traces des plus anciennes techniques humaines que révèlent les industries lithiques, mais aussi les techniques qui ont permis de façonner, graver, sculpter et peindre le plus ancien art humain. Dans ces études tracéologiques et expérimentales se retrouve la tension entre forme et finalité, fonctionnalité et histoire, qui habite toute méditation sur la trace et la reconstitution.

La production de "faux" objets, techniques ou artistiques, ferait-elle donc aujourd'hui partie intégrante de l'arsenal méthodologique du préhistorien ?

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La reproduction expérimentale d'objets techniques ou artistiques, lointaine héritière des pratiques des faussaires, est devenue un des modes les plus féconds de la recherche pour éclairer les cultures et la pensée des Homme du Paléolithique. Dans ce contexte, les "faux" n'ont plus de valeur négative, ils sont la matérialisation d'hypothèses scientifiques, et sans doute un des moyens les plus efficaces de la recherche pour éclairer, à travers leurs tentatives pour transformer la matière, les modes de pensée des Hommes du Paléolithique.

En ce domaine comme dans les autres aspects des études préhistoriques, les approches inventives et subtiles nées du questionnement des traces parviennent ainsi à redonner vie aux mondes du passé. Elles permettent une fois encore de conquérir, au-delà des restes inertes et desséchés, une nouvelle et réelle authenticité.

Claudine Cohen, La méthode de Zadig, La trace, le fossile, la preuve, Paris, Seuil, 2011, p. 275.