Les débris de bouteille ne sont pas des enclaves culturelles au sein de la nature, mais sont de la nature dénaturée ; et le nationalisme n'est pas une forme culturelle qui serait devenue naturelle, mais un amas de débris dénués de valeur et non digérés par la nature ainsi que de formes délabrées et désormais vides. Voilà précisément ce qui caractérise l'ordure : elle n'a, contrairement à la culture, ni valeur ni forme ; elle n'est pas non plus, contrairement à la nature — qui, à tout le moins, a une tendance à viser l'informe —, dénuée de toute valeur et de toute forme ; c'est plutôt qu'elle est dévalorisée et déformée. Cet élément d'"anti" présent dans l'ordure fait précisément qu'elle n'est pas, comme la nature, du futur, mais du passé — lequel menace partout et toujours de devenir présent (gegenwärtig), au sens de "non présentable" ("widerwätig"). Cette dévalorisation et cette déformation des bouteilles en débris montrent clairement ce que signifie "consommer" : user l'aspect culturel du produit sans pour autant détruire le produit en tant que produit.
Vilém Flusser, Choses et non-choses, esquisses phénoménologiques [1993], trad. Jean Mouchard, Rodez, éditions Jacqueline Chambon, 1996, p. 26-27.