Marthe expliqua le banc 102, à voix forte. Un quart d'heure plus tard, Marc arrivait en vue de la grille d'arbre. Il faisait déjà nuit, il était six heures et demie. Du bout de la place de La contrescarpe, il vit Kehlweiler installé sur un banc. Il fumait une cigarette, penché en avant, les coudes sur les genoux. Marc resta quelques minutes à l'observer. Ses gestes étaient lents, rares. Marc était à nouveau indécis, incapable de savoir s'il était vaincu ou vainqueur, et s'il fallait raisonner en ces termes. Il recula. Il observa Kehlweiler qui écrasait sa cigarette, puis se passait les mains dans les cheveux, lentement, comme s'il serrait sa tête très fort. Il maintint sa tête plusieurs secondes, et puis les deux mains retombèrent sur les cuisses, et il resta comme ça, le regard vers le sol. Cet enchaînement de gestes silencieux décida Marc. Il marcha jusqu'au banc et s'assit tout au bout, bottes allongées devant lui. Personne ne dit un mot pendant une ou deux minutes. Kehlweiler n'avait pas redressé la tête, mais Marc était convaincu qu'il l'avait reconnu.

Fred Vargas, Un peu plus loin sur la droite [1996], Paris, J'ai lu, 2013, p. 71.