Delocazione ne veut pas dire absence du lieu, mais son déplacement producteur de paradoxes. Non pas le refus, mais la mise en mouvement du lieu, façon de le mettre en travail et en fable. Le lieu de dépôt de la substance imageante — le subjectile — se trouve bien déplacé, en effet : c'est tout autour de la toile que la fumée, cette version atmosphérique du pigment, se dépose sans pinceau. Elle crée, par empreinte, une réserve que rendra visible l'acte même de retirer le tableau. Inversement, le mur perd ici son habituelle neutralité de "fond" pour l'accrochage d'un tableau : c'est de lui que surgiront toutes les figures, toutes les effluves d'images. Magie simple de la poussière et de la cendre lorsque soufflées sur la paroi : elles en rendent visibles la texture même et, quelquefois, la structure sous-jacente (tous ces détails normalement invisibles sous le lait de peinture, par exemple l'appareil de briques [fig. 34] ou la jointure des panneaux).
Georges Didi-Huberman, Génie du non-lieu, Air, poussière, empreinte, hantise, Paris, Les éditions de minuit, 2001, p. 34-36.