Certaine sculpture est illustrative : discursive, d'inspiration littéraire ; celle-là ne m'intéresse guère.
Mais certaine sculpture est nette, inflexible, sans mot ; presque impassible dans son intensité. Elle est là et elle rayonne. Elle ne raconte pas d'histoire. Elle est. Elle prend deux fois plus d'espace qu'elle ne devrait. Certaine sculpture pèse deux fois son poids. Elle se développe avec deux fois sa puissance. Elle vole l'espace où elle est mise. Elle le remplit et le change ; elle le remplit d'elle-même exactement, avec sa propre existence immédiate, avec sa propre histoire généralisée, avec son propre poids et sa propre attente. Certaine sculpture change mon passé plus qu'elle ne change mon futur.
Certaine sculpture oblitère le monde dans lequel elle est placée — l'oblitère comme un timbre est oblitéré, attirant autant d'intérêt et d'attention vers ce qui est couvert que vers l'objet couvrant lui-même. Certaine sculpture change le lieu dans lequel je me déplace. Elle rôde en cet espace, hume l'air, et chasse en lisière.
Certaine sculpture me fait bondir. C'est l'objet entêté, presque géographique. C'est l'objet impossible à digérer. C'est l'objet sans contenu. C'est l'objet à peine anthropologique. C'est la dérive du continent.
Richard Nonas, Get Out, Stay Away, Come Back, À propos de la sculpture et de la sculpture en œuvre, trad. Mathilde Bellaigue, Dijon, Les Presses du Réel ; Chalon-sur-Saône, La vie des formes, 1995, p. 14.