Comme on considère souvent que le travail du care n'exige pas de compétences spécifiques, sa valeur est faible et ceux qui demandent ce type de services peuvent exercer de l'autorité, de manière très asymétrique, sur ceux qui les fournissent. (Bien que j'ai entendu quelque peu cette distinction et qu'on trouve évidemment des exceptions, il s'agit de comprendre que le care implique de nombreuses tâches identiques à celles impliquées par les activités de service : laver les corps, l'environnement, réparer et préserver les biens et les corps ; mais ils diffèrent par les dimensions de pouvoir présentes dans chaque type de relations.)
Cette distinction est importante car elle a plusieurs implications politiques. Premièrement, la frontière tracée entre care nécessaire et activités de service personnel sera souvent politique. Prenons le cas du travail de garde (day care). Si nous pensons à une baby-sitter comme fournissant un service à la mère, alors il s'agit bien d'un service qui est fourni et, malgré son caractère nécessaire, la baby-sitter ne reçoit pas une très bonne compensation [1]. D'autre part, si nous prenons la décision sociale que la garde des jeunes enfants est essentielle au développement des valeurs démocratiques, alors nous pourrions payer ces éducateurs d'enfants plus que nous ne le faisons habituellement. Deuxièmement, le phénomène de "l'irresponsabilité des privilégiés", qui veut que certaines personnes puissent s'exempter du travail du care au motif que d'autres vont l'accomplir pour elles, s'intègre parfaitement dans la logique des activités de service. Troisièmement, si nous confondons le care avec les activités de service, nous ouvrons une possibilité de distinguer dans la société les citoyens démocratiques des "nécessiteux". Alors que tous les êtres humains ont besoin de care, si nous considérons le care comme un service, nous pouvons ensuite nier que le care fasse partie de notre expérience humaine. Nous pouvons alors avoir l'impression fantasmatique que nous ne faisons pas partie des personnes offrant des soins pour la simple raison que "nous" avons des choses plus importantes à faire. Nous pouvons rêver qu'en tant que citoyens démocratiques, rationnels et bien portants, nous ne bénéficions pas du care (même pas de celui que nous nous donnons). Si nous considérons que le care n'est pour les autres qu'une simple commodité, comme il l'est pour nous, alors ceux qui ont vraiment besoin du care, doivent, en raison de ce besoin même, se disqualifier de la citoyenneté et de la pleine participation à la société. Ainsi, plusieurs théoriciens de la démocratie ont soutenu que les sociétés du care doivent seulement s'assurer de "protéger les plus vulnérables". Mais ce processus rend la "vulnérabilité" différente de la citoyenneté et l'en rend incapable. Il autorise la société à traiter les travailleurs du care comme si on pouvait s'en passer et comme s'ils n'avaient aucune compétence particulière. Ainsi, le care, bien qu'il soit essentiel à nos vies, devient dévalué dans l'économie et la politique.

Joan Tronto, Care démocratique et démocraties du care in Qu'est ce que le care ?, Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman (dir.), trad. Bruno Ambroise, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2009, p. 42-44.

[1] Il y a de cela quelques années, le New York Times publia dans ses pages "consommation" un article sur la façon d'employer une nounou. "Vous voulez une personne qui place vos enfants avant elle-même — déclarait Judy Myers, trente-sept ans, mère de deux enfants, résidants à Briarcliff Manor, État de New-York, et travaillant pour une compagnie d'assurance-santé —, mais il n'est pas facile de trouver quelqu'un qui ne soit pas trop cher."