À première vue, nous n'avons pas affaire, dans ce cas précis, à des conditions très différentes de celles qui avaient cours à la Renaissance. La production d'œuvres s'inscrit dans un processus de collaboration qui inclut l'artiste et une équipe au sein d'un atelier, un ou des "producteurs", qui fournissent les moyens, un réseau de diffusion et un acheteur ou un commanditaire.
Cette similarité possède cependant ses limites, sauf peut-être pour le travail au sein de l'atelier. La différence tient essentiellement à ceci qu'entre les deux, on est passé du paradigme de l'atelier à celui du marché moderne. Le passage d'un contexte institutionnel à un autre (désignés ainsi, faute de mieux) est largement fonction des facteurs essentiellement historiques qui engagent les processus à la faveur desquels l'art a acquis un statut d'autonomie qui s'est manifesté par l'émergence d'un statut différent de l'artiste — "libéré" de la commande[1] —, dans un contexte indissociable des évolutions qui ont marqué l'économie de marché et les nouveaux modes de production, autant que les formes d'organisation sociale (capitalisme, libéralisme)[2].

Jean-Pierre Cometti, La nouvelle aura, Économies de l'art et de la culture, Paris, Questions théoriques, collection Saggio Casino, 2016, p. 122-123.

[1] Ou du moins de certaines formes et modalités de commande. Le passage majeur est celui qui marque la disparition de l'"art de cour" (Peter Bürger, La Théorie de l'avant-garde, op. cit.). Cette disparition, dont la naissance de l'artiste moderne est solitaire, ne fait tout de même pas disparaître les ateliers (voir en ce sens le célèbre tableau de Gustave Courbet : L'Atelier du peintre. Allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique et morale, entre 1854 et 1855, huile sur toile, 361 x 598 cm, musée d'Orsay).
[2] Le marché de l'art présente à première vue des aspects paradoxaux pour les raisons indiqués, en ce que les modes de détermination de la valeur sont différents de ceux qui fixent les prix des marchandises ordinaires. La célébrité est un élément majeur. Pas seulement, toutefois, si du moins on veut bien admettre, d'une part, que la valeur d'une marchandise n'est pas fonction de son "utilité" et, d'autre part, que le "marketing" ne fonctionne pas forcément de façon différente. L'importance du mimétisme et de la publicité en sont des éléments.