Quelques remarques, pour finir. En premier lieu, la réalisation d'une telle œuvre exigeait toute une organisation. Trente-cinq collaborateurs environ (parmi lesquels des sculpteurs de tout premier ordre) et une armée de subalternes participèrent à son exécution. Ce qui soulève la question du mode de fonctionnement des ateliers. En règle générale, les jeunes gens de moins de vingt ans qui désiraient devenir artistes faisaient leur apprentissage auprès d'un peintre ou d'un sculpteur ; cette pratique, qui remontait à la tradition médiévale, se maintint pendant de longs siècles. Souvent, ces ateliers étaient de petite taille et n'opéraient qu'avec quelques jeunes gens. En revanche, les sculpteurs chargés de commandes importantes avaient besoin, en permanence, d'une main-d'œuvre abondante, composée non seulement d'apprentis, mais aussi d'éléments responsables et mûrs. Ghiberti, par exemple, n'employa pas moins de vingt et un assistants après 1407, pour l'exécution de la première porte de bronze du baptistère de Florence ; et le contrat de Donatello pour le maître-autel de Sant'Antonio de Padoue fait état de "quatre sculpteurs et disciples", nombre qui augmenta par la suite et auquel il faut ajouter les fondeurs de bronze, les orfèvres, les tailleurs de pierre, les maçons et les peintres qui ne faisaient pas partie de l'atelier.
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Reste qu'aucune de ces organisations ne saurait se comparer en taille et en complexité à celle du Bernin. Ce dernier n'avait, au début des années 1620, qu'un seul apprenti. En 1624, pour sa première grande commande (le Baldaquin de Saint-Pierre), il enrôla toute sa famille et employa en outre sept assistants. Certains d'entre eux restèrent des années auprès de lui, d'autres travaillèrent à leur compte, revenant à son service lorsqu'il avait besoin d'eux.
L'atelier du Bernin s'agrandit considérablement vers le milieu des années 1640, lorsque le pape Innocent X lui confia la décoration sculptée des piliers des chapelles et de la nef de Saint-Pierre — un cycle animé de portraits idéaux en buste de trente-huit premiers papes martyrs, avec d'immenses putti portant les emblèmes pontificaux. Il ne fallut pas moins de trente-neuf sculpteurs pour mener à bien cette gigantesque entreprise, ce qui veut dire que presque tous les bons sculpteurs de Rome travaillaient pour lui. Cette organisation gagna, au cours du temps, en efficacité. Dans des œuvres très tardives comme le tombeau du pape Alexandre VII, à Saint-Pierre, exécuté entre 1671 et 1678, la division du travail fut poussée à l'extrême. Le Bernin participait de moins en moins au travail, se bornant souvent à faire des esquisses, des dessins et de petits modèles. Nombre de ce œuvres conservent pourtant une grande unité de style parce que même les assistants de premier ordre ne se permettaient pour ainsi dire aucune interprétation personnelle : ce n'étaient qu'autant de mains qui venaient multiplier la sienne.

Rudolf Wittkower, Qu'est-ce que la sculpture ? [1977], trad. Béatrice Bonne, Paris, Macula, 1995, p. 191-193.