Les concepts d'"environnement", d'"ambiance" n'ont sans doute une telle vogue que depuis que nous vivons moins au fond, à proximité d'autres hommes, dans leur présence et dans leur discours, que sous le regard muet d'objets obéissants et hallucinants qui nous répètent toujours le même discours, celui de notre puissance médusée, de notre abondance virtuelle, de notre absence les uns aux autres. Comme l'enfant-loup devient loup à force de vivre avec eux, ainsi nous devenons lentement fonctionnels nous aussi. Nous vivons le temps des objets : je veux dire que nous vivons à leur rythme et selon leur succession incessante. C'est nous qui les regardons aujourd'hui naître, s'accomplir et mourir, alors que, dans les civilisations antérieures, c'étaient les objets, instruments ou monuments pérennes, qui survivaient aux générations d'hommes.
Les objets ne constituent ni une flore ni une faune. Pourtant ils donnent bien l'impression d'une végétation proliférante et d'une jungle, où le nouvel homme sauvage des réflexes de la civilisation. Cette faune et cette flore, que l'homme a produites et qui reviennent l'encercler et l'investir comme dans les mauvais romans de science-fiction, il faut tenter de les décrire rapidement, telles que nous les voyons et les vivons — en oubliant jamais, dans leur faste et leur profusion, qu'elles sont dominées, non par les lois écologiques naturelles, mais par la loi de la valeur d'échange.
Jean Baudrillard, La société de consommation, Paris, Denoël, 1970, p. 18.