Ce fut une des préoccupations majeures des constructivistes et des productivistes que de dégager leur pratique de cette mythologie moderniste et d'élaborer des stratégies répondant à leurs visées esthétiques et politiques. Comme la critique moderniste l'avait donné à entendre dès le début, il s'agissait de toucher un public plus large, de ne plus considérer les œuvres comme des objets de cultes et d'exposition, de leur ôter enfin leur valeur d'échange et leur aura de prestige factice. Surtout, il fallait développer des stratégies nouvelles afin d'ancrer peu à peu le production esthétique dans la réalité politique et sociale qui était celle de ce public.
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Il ne faut pas oublier que les sculpteurs constructivistes n'avaient pas adopté les matériaux industriels dans le seul espoir futuriste d'englober le réalité culturelle du monde industriel, mais aussi dans le dessein anti-esthétique de souligner le caractère éphémère est contingent de l'œuvre. Au lieu de l'insistance traditionnelle sur l'universalité supposée de la sculpture et sa pérennité infrangible, l'accent était mis désormais sur ses aspects temporel, fonctionnel et dynamique (comme dans le projet de Lissitzky pour la tribune de Lénine en 1920-1924).

Benjamin Buchloh, "Construire (l'histoire de) la sculpture moderne" in Qu'est-ce que la sculpture moderne ?, Musée national d'art moderne, Paris, 3 juillet-13 octobre 1986, Paris: Musée National d'Art Moderne, 1986, p. 263.