Mais ce discours n'est jamais innocent : l'articulation des formes entre elles cache toujours un discours indirect. La forme du briquet est relative à la forme de la main à travers la mer "qui l'a poli", l'aile de voiture est relative à l'espace parcouru à travers l'avion, l'oiseau, etc., en fait à travers l'idée de la mer, l'idée de l'avion et de l'oiseau. Partout on voit ainsi l'Idée de Nature, sous de multiples formes (éléments animaux, végétaux, le corps humain, l'espace lui-même [1]), s'immiscer dans l'articulation des formes. C'est dans la mesure où celles-ci, se constituant en système, recréent une espèce de finalité interne, que du même coup, elle se connotent de nature — la nature demeurant la référence idéale de toute finalité.

Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 86-87.

[1] En effet l'espace lui aussi se connote comme vide : au lieu qu'il naisse de l'interrelation vivante des formes (l'espace "rythmé"), on voit les formes devenir relatives les unes aux autres à travers le vide, ou signe formalisé de l'espace. Dans une pièce où il y a de l'espace, il y a un effet de Nature : "ça respire". D'où la tentation du vide : des murs nus signifieront culture et aisance. On valorisera tel bibelot en faisant le vide autour de lui. L'"ambiance" n'est bien souvent ainsi qu'une disposition formelle, où un vide calculé "personnalise" quelques objets. Inversement, dans la série, la pénurie d'espace détruit l'ambiance, en privant les objets de cette respiration luxueuse. Peut-être faut-il lire dans cette affectation du vide le reflet d'une morale, celle de la distinction et de la distance. Il y a donc là aussi inversion de la connotation traditionnelle, celle des substances pleines, où la valeur s'inscrivait dans l'accumulation et l'ostentation naïve.