Ainsi Parmiggiani aura-t-il voulu revenir — fût-ce sous une forme paradoxale — aux objets de mémoire que la tradition picturale offrait à sa réflexion : les profils de bouteilles posées sur une table, dans la Delocazione de Celle, en 1997, ne forment-ils pas un hommage explicite aux natures mortes de Giorgio Morandi (fig. 18) ?
Une nature morte : une collection d'objets silencieux réunis dans la grisaille de leurs empreintes de cendre :
"Instruments pour l'œuvre : le feu, la fumée […]. Dix salles enveloppées et noircies par la fumée. Tables, vases, étagères de livres, haillons, chaussures accrochées, un violon déposé sur une étagère, des tableaux, des bouteilles poussiéreuses, une palette suspendue à un clou, des fleurs séchées, du bois, des cercles de fer, une lanterne, quelques papillons attirés par la lumière, des verres brisés, des planches de bois empilées ; tout a été enlevé (ogni cosa è stata rimossa)[1]."
Quand tout a été enlevé de la demeure — son "mobilier", mot qui se prête si bien à l'opération de Decolazione —, demeure la mémoire et sa grande collection d'images. La tonalité mélancolique des œuvres de Parmiggiani semble profondément liée à une sorte d'état des lieux émergeant en négatif de la disparition des choses elles-mêmes.
Georges Didi-Huberman, Génie du non-lieu, Air, poussière, empreinte, hantise, Paris, Les éditions de minuit, 2001, p. 86-87.
[1] C. Parmiggiani, "Polvere", art. cit., non paginé. Trad. dans Claudio Parmiggiani : Luce, luce, luce, Toulon, Hôtel des Arts, 1999, p. 36.