L'été il y a douze peupliers de Virginie autour du bassin, qui, durant l'hiver, se transforment en un haut fourré. Il y a également une cour avec un petit jardin de plantes à feuilles persistantes. L'hiver est désolé dans cette région. Cet endroit est avant tout destiné à l'installation permanent d'œuvres d'art, il est nécessaire pour cette architecture que je conçois, qui s'intègre à un site existant, c'est un lieu pour travailler, et qui symbolise mon idée de la vie.
Comme je l'ai dit, le but essentiel de ce lieu, à Marfa, est de présenter une installation sérieuse et permanente des œuvres. J'insiste sur ce point dans la mesure où rien aujourd'hui, en dépit de l'activité accrue des musées et de ce qu'on appelle "l'art public", ne me semble suffisamment proche des intérêts des meilleures formes artistiques. Les musées ne sont, au mieux, que des anthologies et l'art "public" est toujours fortuit. Mais j'insiste également sur ce point par ce que l'idée même d'installation permanente des œuvres se dégradent à son tour. Si cela arrive, c'est la fin d'une tentative sérieuse d'aller de mon vivant au-delà de la création d'objets et de peintures.
Le fait que les bâtiments existaient déjà à mon arrivée rend secondaire ici ma préoccupation architecturale. Si je pouvais tout reprendre à la base, ces deux préoccupations iraient de pair. Mais j'ai surtout soigneusement essayé d'intégrer les bâtiments existants dans un complexe global. Ils n'ont pas été transformés, simplement rénovés. Les quelques idées plaisantes quoique rudimentaires dont l'architecture témoignait, comme la claire-voie, ont été achevées. Il est très important que toutes les structures puissent fonctionner ensemble, être "humbles et audacieuses" dans les rapports qui les lient. Les bâtiments anciens ne devraient pas rabaisser les nouveaux éléments, ni les nouveaux déprécier les anciens. Les conflits partout visibles qui opposent l'ancien et le nouveau peuvent être évités.
Marfa présente essentiellement une architecture en terre, mais la ville l'avait oublié lorsque j'ai commencé à réutiliser l'adobe. C'était le matériau qui s'imposait. À 100 kilomètres du Mexique on construit encore en terre. J'ai employé, légalement, deux hommes à temps complet pendant des années, ce qui est la seule solution pour résoudre le prétendu problème des ouvriers mexicains clandestins. Le mur et les petites bâtisses ne sont pas des imitations sentimentales de l'architecture des pueblos mexicains, ni une architecture de réminiscences de quelque façon que ce soit. La boue est le matériau disponible sur place, une place qui varie, comme le petit arpent du Bon Dieu, et qui finira peut être en mare. Le travail est fait selon les capacités et les préoccupations des habitants de la région. Ce qui est possible de faire est peut-être secondaire par rapport à ce qui existe dans l'échelles des choses fondamentales.
L'enclos s'oppose à la strip city tardive, qui continue de s'étendre plusieurs décennies après que la mode en est passée. Il s'oppose à l'idée de pavillon de banlieue posé sur son gazon, particulièrement dans le sud-ouest, où l'eau est rare et le climat le rend nécessaire. Cet endroit s'accorde avec les bâtiments construits dans l'alignement des rues, mais s'organisent autour des cours, dans toutes les régions qui souffrent de sécheresse, et particulièrement à Chichimeca — pour reprendre le nom que donnaient les Aztèques au Nord du Mexique et au sud-ouest des "Estados-Unidos". La symétrie est importante ; il n'y a pas ici ou là de petites excroissances "créatives" et non justifiées. Tout renoncement à la symétrie doit être sérieusement justifié.
Donald Judd, House and Garden, avril 1985, in Écrits 1963-1990, trad. Annie Perez, Paris, Daniel Lelong éditeur, 1991, p. 176-177.