Tout d'abord visiter à nouveau le site, essayer d'assimiler son ensemble ; l'architecture d'un monastère ne se compose pas en assemblant des bâtiments, mais bien comme une sculpture, dans un bloc plein, massif.
Le plan, dessin à deux dimensions, ne doit pas se juger : image représentative d'une incomplète synthèse, il est l'itinéraire d'une promenade imaginaire. Créer, sans déterminer simultanément la hauteur et l'épaisseur, sans définir jusqu'au moindre détail élémentaire au tout, est impossible. Pas d'architecture sans l'évocation de la quatrième dimension, la trajectoire : perception de l'édifice dynamique. L'œuvre est rarement montagne ou horizon immobile, elle se transforme sans cesse par le déplacement du regard. Les volumes tournent autour du pivot dont nos yeux sont l'extrémité fixe. L'architecture est mouvante. Notre marche engendre ainsi le mouvement des formes, notre tête articulée fait basculer les lignes, et notre regard perçoit la mobilité infinie des reliefs. Il nous appartient, à nous maîtres d'œuvre, de créer ce qui est préalable, de précéder l'image, de vivre dans le plan, de nous y installer, d'y transporter notre lit, de renverser les murs, de remuer les blocs les plus pesants, de défier l'équilibre et la pesanteur, de prévoir les rotations, les retournements, la vitesse des images et l'immobilité relative.
Fernand Pouillon, Les pierres sauvages, Paris, Seuil, 1964, p. 23-24.