Plutôt donc que de catégoriser le design ou de le topographier, ce qui le limite toujours, je me suis proposée de privilégier l'importance des engagements des penseurs, designers et théoriciens, ceux qui ont inventé les idées à la naissance des objets et des espaces, plutôt que de me conformer à l'analyse de la production des biens de consommation. Ce parti pris entendant montrer la nature exemplaire et passionnelle du design. Sans l'histoire du design, sans un retour et sans ses projections, il est impossible d'en saisir sa nature.

À présent, on peut se demander à quel destin le design peut désormais aspirer ? La réponse, impossible à prophétiser, reste ouverte. Sous un nouveau jour, il invoque un espace unique pour penser et une zone d'excitation pour l'esprit, avec de simples artefacts, dans le rien, le mineur, ou dans une immatérialité assumée. Il y a toute latitude pour matérialiser dans le quotidien de chacun, des manières de concevoir la vie en commun. Beaucoup de choses ont changé depuis l'origine du design, mais une constante s'impose encore puissamment aujourd'hui : avec des simples objets et des idées, le designer ne peut s'empêcher d'anticiper, de revenir à nouveau à l'idée de "progettazione" que les Italiens avaient su associer à la profession. Qu'il verse donc dans la mise en garde dystopique, dans l'émotion exacerbée, dans le pragmatisme ou à l'inverse dans l'utopie, le designer, tel un sismographe, ressent et enregistre les moindres inflexions du monde, concerné par tout, de l'environnement au recyclage, des enjeux économiques à leurs limitations, par les envies autant que par les besoins des gens… Il se projette continuellement dans le futur, stimule sa curiosité, suggère des possibilités et aimerait que tout ce qui est soit pensé, vibrant et signifiant… quitte à se tromper parfois de chemin. Et les inévitables faiblesses et manquements qui découlent naturellement d'un tel contrat — impossible à remplir — sont le signe de l'extraordinaire engagement que le designer assume aujourd'hui.

Alexandra Midal, Design, introduction à l'histoire d'une discipline, 2009, Paris, Pocket Univers Poche, p. 202-203.