Lagasnerie relie ce jugement à une forme d'impensé. La question de la politique, dans les démocraties libérales, est liée au problème de l'apparition publique, explique le philosophe. "Notre inconscient tel qu'il est façonné par les structures des démocraties libérales, lie politique et publicité, écrit-il. L'espace politique est, d'abord, un espace où le sujet entre en contact avec les autres. En se présentant devant les autres, le sujet engage son nom, sa signature, sa voix : il signe une pétition, montre son visage, met en lumière sa situation sociale et les intérêts qui s'y rapportent, il manifeste, etc." À la figure du citoyen qui s'exprime, revendique, manifeste, se bat, est alors opposée implicitement la figure du criminel, de l'individu qui fuit ou se tait, qui accepte silencieusement l'ordre des choses ou transgresse clandestinement la loi. D'un côté, le citoyen ou l'intellectuel dans la vieille acceptation du terme, qui parle "au nom" de X ou Y. De l'autre, le quidam qui n'aurait pas le courage d'affirmer ses idées.
Avec les Anons et consorts, nous "assistons cependant à l'émergence de quelque chose de nouveau". L'anonymat devient un mode d'existence revendiqué en tant que tel, une nouvelle façon de faire de la politique, qui échappe à la problématique de l'apparition dans l'espace public. "Une certaine conception d'une politique et plus généralement d'une relation aux autres se déploie, écrit Lasganerie, sans possibilité, pour le sujet qui la mène, d'être identifié[1]."
Yann Perreau, Incognito. Anonymat, histoires d'une contre-culture, Paris, Grasset, 2017, p. 245.
[1] Geoffroy de Lagasnerie, L'Art de la révolte. Snowden, Assange, Manning, Fayard, 2015, loc 898.