Le présent livre contient les communiqués émis par l'EZLN, depuis la Première Déclaration de la jungle Lacandone jusqu'à la Deuxième Déclaration de la jungle Lacandone, c'est-à-dire du 31 décembre 1993 au 10 juin 1994[1]. Il rassemble, en plus, une série de lettres qui présentent ou réitèrent quelques-unes des positions politiques et idéologiques de l'armée zapatiste de Libération nationale. En ce qui concerne les communiqués émis par le Comité clandestin révolutionnaire indigène — Commandement général de l'Armée zapatiste de Libération nationale, il convient de décrire un peu le mécanisme de la production de ces déclarations. Tous les communiqués signés par le CCRI-CG de l'EZLN sont approuvés par des membres du Comité, parfois par la totalité d'entre eux, parfois par des personnes qui les représentent. La rédaction des textes est une de mes tâches, mais le communiqué lui-même suit deux parcours :
Le premier, ce sont des membres du Comité, ou le collectif du Comité qui sentent la nécessité de se prononcer sur quelque chose, de "dire leur mot". Alors, on propose et on discute des points principaux de ce que l'on va dire, et, avec ces indications générales, on me commande d'en faire la rédaction. Je leur présente ensuite le communiqué rédigé, ils le révisent, suppriment ou ajoutent des choses, et l'approuvent ou le rejettent.
L'autre chemin, c'est lorsque ayant reçu de l'information de diverses sources, ou en vue d'un événement particulier, et estimant qu'il convient de nous manifester à ce propos, je propose au Comité que nous émettions un communiqué. Je rédige et je soumets ma proposition. On en discute et on l'approuve ou on la rejette.
Ai-je dit "rejette" ? En effet, malgré les circonstances qui contribuent à laisser croire que le Sous-commandant I. Marcos est le "meneur" ou le "leader" de la rébellion, et le CCRI-CG de l'EZLN une simple "mise en scène", l'autorité du Comité est indiscutable dans les communautés, et il est impossible de soutenir une position sans l'appui de cet organisme indigène de direction. Plusieurs propositions de communiqués que j'ai faites ont été rejetées, certaines parce qu'elles étaient "très dures", d'autres parce qu'elles étaient "très molles", et d'autres encore "parce qu'elles apportaient plus de confusion que d'éclaircissement". Par ailleurs, plusieurs communiqués ont été émis malgré moi. Il est inutile de citer des exemples, mais la justesse du jugement de mes compagnons du Comité s'est vérifiée au cours de ces six mois de guerre.
Il existe également des textes que j'ai tendance à rédiger en guise de présentation des communiqués que nous émettons. Dans ces textes, je suis plus "désinvolte", mais la vigilance du Comité demeure. Plus d'une des ces "lettres de présentation" ont essuyé la réprobation de quelques membres du CCRI.
La voie empruntée pour acheminer les communiqués éait assez accidentée et prenait beaucoup de temps. Nous avons essayé de remédier à cette "inopportunité" caractéristique de nos déclarations, sans aucun succès. La vitesse à laquelle certains de nos communiqués sont arrivés à la presse a été le résultat d'heureux concours de circonstances qui ne faisaient pas, malheureusement, partie de nos plans.
Néanmoins, je pense que la plupart des lecteurs qui entament aujourd'hui la lecture de ce livre comprennent bien le manque de "rapidité" des réponses zapatistes. Ce qu'ils pourraient ne pas comprendre, c'est l'héroïsme compliqué et anonyme des émissaires qui ont transporté, de nos lignes jusque dans les villes, ces feuilles blanches aux lettres noires qui parlaient notre pensée. Il existe bon nombre d'anecdotes sur ces zapatistes anonymes qui ont tout risqué pour traverser les lignes ennemies, maintes et maintes fois, crevant leur monture et les pieds déchiquetés par la pluie et le froid en janvier et en février, et par la chaleur et les épines dans les mois qui ont suivi. Les voies de la misère et de l'oubli, c'est-à-dire les routes et les sentiers, ont acheminé, des montagnes jusqu'au béton, les mots de la dignité et de la rébellion des zapatistes. Il n'y a pas eu, jusqu'à ce jour, de caméras ni de magnétophones devant ces "émissaires", pas de lettre ni d'interview, pas d'allusion au sex-appeal de leur anonymat, pas la moindre reconnaissance pour leur effort qui permet à notre parole — leur parole —, d'arriver aux oreilles d'autrui. Qu'ils soient donc salués, par ces lignes, pour leur labeur silencieux… et efficace.

Sous-commandant Insurgé Marcos, Proposition de préface à l'édition des communiqués de l'EZLN, 30 juin, in Sous-commandant Marcos, Ya basta !, Les insurgés zapatistes racontent un an de révolte au Chiapas, tome 1, trad. Anatole Muchnick et Marina Urquidi, Paris, éditions Dagorno, 1996, p. 10-12.

[1] De décembre 1993 à la mi-octobre 1994, en l'occurrence. Ndt.