C'était toujours les années des objets, des natures mortes, en 46-48 ?
Je cherchais ; j'étais attentive, solitaire. Je peignais des choses silencieuses, une boîte sur une planche, par exemple ; je ramassais des objets simples, pas "jolis" ; je quêtais un certain espace par le biais d'une composition assez dure, avec peu de couleur. Je n'avais pas d'argent et, dans un sens, cela m'arrangeait. Je ne pouvais pas m'offrir un grand nombre de couleurs, ce qui faisait que parfois je peignais avec deux tubes, un noir, un blanc, et un peu d'ocre : j'achetais les tubes au compte-gouttes. Cela m'allait ; j'étais obligée de rechercher sobrement, avec un contenu intérieur, et d'être simple. C'était bien. Cela me va encore, d'ailleurs. J'étais peut-être influencée par le "misérabilisme".
On n'a pas l'impression que vos tableaux de ces périodes fussent le résultat du "misérabilisme". C'est une sorte de nudité qui a trouvé son centre avec ses tons gris, blancs, sombres, le bleu déjà, parfois des noirs. On entre dans un lieu abandonné où quelques objets ont été oubliés.
Ma peinture n'était ni aimable, ni attirante. Les gens ne s'y attardaient pas. Elle se dépouillait chaque fois davantage. En dessinant, lorsque je cherchais la lumière, souvent il ne restait qu'un seul trait sur le papier, un contour qui exprimait l'intérieur de l'objet. Je cherchais toujours en dessinant. Je décortiquais les choses que je voyais.
Silvia Baron Supervielle, Un été avec Geneviève Asse, Paris, L'échoppe, 1996, p. 54-55.