"Restituer le silence est le rôle des objets", dit Samuel Beckett ; et je ne peux oublier cette phrase. Mais ce n'est pas le silence qui m'intéresse le plus ; c'est l'étrange suggestion qu'il fait par le mot "restituer", l'allusion à une histoire ancienne mais continue qui, de l'intérieur d'un objet, résonne alentour ; l'idée que les objets transportent un passé abstrait en même temps que spécifique. Ce qui m'intéresse c'est le sentiment d'un mouvement différé et continu que les objets font valoir ; c'est la façon dont ils changent mon passé. Les choses glissent ; et parfois elles m'entraînent avec elles. C'est là que devrait commencer la sculpture.
Elle commence là, mais s'arrête ailleurs. — Les sculptures doivent être à l'écart, elles doivent être des objets absolument distincts ; elles doivent être seules, sans histoire particulière. Mais elles doivent faire plus encore. Elles doivent être plus grandes qu'en réalité ; et même plus définies. Elles doivent tenir l'espace autour d'elles ; débarrasser cet espace et le remplir. Le remplir pourtant précisément, exactement d'elle-mêmes, de leur propre existence immédiate, de leur propre histoire généralisée, de leur propre poids et de leur attente. De leur propre silence aussi, comme le disait Beckett. Mais toujours d'elles-mêmes, pas seulement de leur isolement, de leur complétude, mais de leur solitude. — Car le silence de Beckett, c'est cela.

(…)

Pourtant les sculptures sont des objets. Elles doivent être là, silencieuses, et briller d'un éclat éblouissant, comme le font les objets forts. Mais elles doivent un peu bondir aussi. Elles doivent bondir avec assez de force pour continuer à m'intéresser.

Richard Nonas, Get Out, Stay Away, Come Back, À propos de la sculpture et de la sculpture en œuvre, trad. Mathilde Bellaigue, Dijon, Les Presses du Réel ; Chalon-sur-Saône, La vie des formes, 1995, p. 33